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Les parasites ne sont pas ceux que l’on croit
#capitalisme #bourgeoisie #inegalites
Article mis en ligne le 6 avril 2023
dernière modification le 4 avril 2023

Sociologue et rédacteur en chef de Frustration Magazine, Nicolas Framont vient de publier Parasites (Les Liens qui libèrent), un ouvrage qui déconstruit les mythes dont nous abreuvent les classes dominantes. Il prolonge ici sa critique des bourgeois et insiste : les vrais parasites, ce sont eux.

Jean-Marc dresse de grandes perspectives d’évolution de la filiale qu’il dirige : « Il faut aller vers une premiumisation de nos produits, pour répondre à la montée en gamme de la filière et évoluer ensemble vers une organisation plus flexible, plus transversale, pour sortir du travail en silo qui a trop longtemps marqué la culture du groupe Daslé en France. » Jean-Marc regarde par la grande baie vitrée, au loin, fier du petit effet qu’il croit avoir eu sur ses interlocuteurs. Son PowerPoint brille de mille feux. C’est pour cela qu’il est payé 30 000 euros par mois et détient un bon paquet d’actions Daslé : il sait toujours prévoir le coup d’après et faire évoluer une entreprise et ses collaborateurs vers les défis de demain.

Avec mes deux collègues expertes CSE1, nous nous regardons d’un air entendu. Ce topo, nous l’avons déjà entendu une bonne dizaine de fois. Par d’autres Jean-Marc. C’est la énième rencontre que nous faisons avec un type en veste bleue marine, montre chère, cheveux de riches (vous savez, amenés vers l’arrière). Tous les directeurs financiers de filiales d’entreprises du CAC 40 se ressemblent, autant qu’ils ressemblent à leurs homologues des entreprises étrangères.

Allégorie du « bullshit » patronal (...)

Dans mon métier de sociologue du travail mandaté par les CSE, j’ai déjà rencontré catégorie plus agaçante : les dirigeants d’entreprises publiques qui ont pour point commun d’avoir fait Polytechnique. Je ne sais pas grand-chose de cette école, si ce n’est qu’elle est l’une des plus élitistes du pays et que chacun de ses étudiants coûte au contribuable sept fois plus cher que leurs homologues de la fac (62 350 euros par an contre 8 790 euros, respectivement2). Je sais aussi que, chaque 14 juillet, ils défilent en uniforme napoléonien. (...)

Dirigeants d’entreprises privées ou publiques ont donc pour point commun un mépris incommensurable pour leurs salariés et un immense sentiment de supériorité. (...)

D’où notre connaissance du bullshit patronal.

Il s’agit bien de bullshit, au sens de propos vains, vagues et sans grand rapport avec la réalité. Car ce dont il s’agit en fait, c’est d’enrober une série de mesures qui ont souvent pour conséquence de renforcer le contrôle sur la vie des salariés pour augmenter leurs résultats et, in fine, améliorer ceux des actionnaires. Mais ce qui est fascinant, c’est la capacité des Jean-Marc de France et du monde à faire comme s’il s’agissait de quelque chose d’autre. Une grande œuvre issue de leur imagination, une vision de l’entreprise de demain qui les mènerait au Panthéon des grands hommes du capitalisme (...)

Des élites déconnectées mais sûres d’elles (...)

Dans le monde du travail, la malhonnêteté intellectuelle de la classe bourgeoise atteint des sommets. Les cadres supérieurs mentionnés précédemment sont persuadés de pouvoir utiliser leurs schémas de pensées préconçus pour analyser et transformer une situation de travail à laquelle, le plus souvent, ils ne comprennent rien. Leur vision de leur propre entreprise est de plus en plus sous-traitée à des cabinets de conseil dont la consigne absolue semble être : « Ne surtout pas demander leurs avis aux travailleurs ». C’est ainsi que l’on se retrouve, au travail, avec des procédures inapplicables, une organisation qui change perpétuellement, de nouveaux slogans pétés qui ne correspondent à rien… Le gouffre est souvent immense entre la vision erronée de celui qui décide et la description claire et pragmatique de ceux qui vivent la situation. Et à la fin, celui qui décide ne sera pas inquiété pour son incompétence. (...)

Bêtise bourgeoise et mépris

Je me demande toujours, lorsque j’entends un Macron ou un Dussopt débiter ce genre d’âneries : pense-t-il vraiment ce qu’il est en train de raconter ? Croit-il agir dans « l’intérêt général » ou bien sait-il qu’évidemment, il agit cyniquement pour le compte des possédants ? Dans le premier cas, ce serait une preuve de bêtise. Je veux bien croire que les PowerPoint peuvent être un peu hypnotisants, mais il ne faut pas abuser. Dans le second cas, c’est du cynisme… Du pur égoïsme de classe rendu possible par une quantité industrielle de mauvaise foi.

Je crois fondamentalement que la bêtise bourgeoise, liée à une éducation étriquée et mystifiante, tient à cette capacité à croire que ses intérêts et ceux de ses proches sont communs à tous les humains. Ou du moins à tout faire pour ne pas en douter. (...)

Nicolas Framont - Parasites (Les Liens qui libèrent)