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Les « perdants radicaux », la nouvelle arme de Daech ?
Hans Magnus Enzensberger Le perdant radical. Essai sur les hommes de la terreur [Schreckens männer] Trad. de l’allemand par Daniel Mirsky Hors série Connaissance, Gallimard Parution : 19-10-2006
Article mis en ligne le 23 septembre 2016
dernière modification le 17 septembre 2016

Ce concept qui désigne des individus humiliés, en quête de boucs émissaires et avides de vengeance constitue une bonne clef pour analyser le terrorisme contemporain.

(...) le profil du tueur de Nice, Mohamed Lahouaiej Bouhlel –totalement déconnecté des sphères djihadistes, non pratiquant, bisexuel et amateur d’alcool– le rendait insoupçonnable. Les services de renseignement n’avaient aucune chance de l’intercepter. Certains ont alors évoqué la notion de « radicalisation expresse » pour qualifier ce parcours hors-norme.

Pourtant, pour les spécialistes des phénomènes de radicalisation, cette expression relève de l’oxymore intellectuel. En effet, les définitions de ce concept insistent au contraire sur les dimensions progressive et graduelle par lesquelles des individus acquièrent des idées extrémistes

D’autres éléments éloignent la tragédie niçoise des violences djihadistes classiques. Ainsi, Daech, dont on connaît la propension à communiquer et à célébrer ses « victoires » de manière quasi-instantanée, a mis près de deux jours pour revendiquer cet attentat à la résonance planétaire. Enfin, le nombre particulièrement élevé de victimes musulmanes, estimées à près d’un tiers du total par les acteurs locaux, ajoute un peu plus d’interrogation.

Mégalomanes et narcissiques

En réalité, la trajectoire sociale du tueur niçois semble bien plus relever de celle du « perdant radical », théorisé en 2006 par Hans Magnus Enzensberger. Les « perdants radicaux » désignent des individus humiliés, en quête de boucs émissaires et avides de vengeance. Produits du libéralisme et de la compétition exacerbée que se livrent les individus au sein des sociétés modernes, ils sont invisibles et ressassent silencieusement leurs échecs. Dans leur univers mental, il n’y a pas de place pour les figures intermédiaires ou les positions médianes. Tout est binaire : on est soit « un perdant soit un gagnant ». Mégalomanes et narcissiques, ils exercent une violence suicidaire dont l’objectif vise autant à se sanctionner de leur propre échec qu’à punir la collectivité sociale qui en serait aussi responsable.

Andreas Lubitz, le pilote de la Germanwings qui a entraîné 149 personnes dans son crash, ou Omar Mateen, le terroriste de la discothèque d’Orlando en Floride, illustrent des figures du perdant radical. Divorcé, dépressif et violent, Mohamed Lahouaiej Bouhlel a souhaité faire payer ses échecs personnels à l’ensemble de la société. Comme pour les autres, sa frustration a été doublement assouvie par la désignation de responsables sur lesquels il jouit d’un pouvoir de vie et de mort, mais également par anticipation du moment de gloire médiatique que lui procure son acte suprême.(...)