
Les biotechniques dites d’« édition de gènes » doivent-elles être soumises à la réglementation sur les OGM ? La bataille pour le déterminer a déjà commencé auprès des gouvernements et des institutions supranationales. L’enjeu est capital, expliquent les auteurs de cette tribune, car la bio-industrie entend régner sans entrave sur les semences.
Du 15 au 17 février, 80 orateurs de l’industrie, de la recherche et de divers gouvernements se sont relayés à la tribune de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) [1], à Rome, pour faire disparaître la réglementation sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) derrière un épais nuage de fumée.
L’enjeu est de savoir si les New breeding techniques (NBT, nouvelles techniques de reproduction ) relèvent ou non de la réglementation OGM. Ces techniques, dites « d’édition de gènes », permettent d’activer ou d’inactiver une partie du génome ou d’insérer un fragment d’ADN de la même espèce ou d’une autre espèce. Aucun statut juridique n’entoure aujourd’hui ces NBT. Certains espèrent qu’elles seront exclues de la réglementation sur les OGM, qui impose des évaluations et des procédures d’autorisations de mise sur le marché.
L’argumentation de leurs promoteurs relève d’un sophisme déroutant : les innovations paysannes (fermentation, compostage…) sont des biotechnologies ne produisant pas des OGM, toutes les biotechnologies ne produisent donc pas des OGM, les New Breeding Techniques, étant de nouvelles biotechnologies de modification génétique, ne font qu’accélérer les sélections traditionnelles et ne produisent donc pas d’OGM.
« Vol massif des connaissances et des ressources paysannes »
Un seul orateur de la société civile avait été invité à s’exprimer à cette tribune. Il a dénoncé le double langage des « biopirates » : « Si les produits issus des NBT étaient en tout point identiques à ceux qui peuvent être obtenus par des procédés traditionnels de sélection, ils ne seraient pas des inventions. Ils sont pourtant brevetés, alors que seules les inventions peuvent être brevetées. Ces brevets permettent à l’industrie de s’emparer de toutes les plantes et de tous les animaux porteurs de caractéristiques identiques à celles revendiquées par le brevet, y compris lorsque ces caractéristiques existent naturellement ou sont issues de procédés traditionnels sans aucun recours à l’invention brevetée. L’industrie ne veut pas de la réglementation OGM, car celle-ci entraverait ce vol massif des connaissances et des ressources paysannes en l’obligeant à étiqueter ses inventions et à définir les critères permettant de les distinguer des produits naturels ou issus de sélection traditionnelle. »
Le 22 février, à Paris, sept organisations paysannes et de la société civile suspendaient leur participation aux travaux du Haut conseil des biotechnologies (HCB) pour obtenir la publication d’une opinion divergente censurée. Yves Bertheau, directeur de recherche à l’Inra et membre du comité scientifique, a pour sa part démissionné du HCB pour protester (...)
La présidente du HCB a qualifié cette démission de « tempête dans un verre d’eau ». Elle semble ignorer les énormes conflits d’intérêts et les enjeux financiers qu’elle révèle. (...)
En moins de dix ans, dix multinationales se sont emparées du contrôle des trois quarts du marché mondial des semences. Trois d’entre elles s’en partagent la moitié. Leur objectif est désormais de contrôler les portefeuilles de brevets portant sur les gènes indispensables à l’exploitation de plantes et d’animaux rendus malades par cinquante années de monocultures industrielles et d’élevages concentrationnaires sous perfusion d’intrants chimiques : la génétique brevetée promet de nous vendre toutes les béquilles indispensables à leur survie de plus en plus éphémère dans cette course effrénée vers l’obsolescence programmée du vivant. (...)
En mars, le Parlement français devra décider, lors du débat de la loi sur la biodiversité, si les « gènes natifs » des plantes et des animaux peuvent ou non être brevetés. Quant à l’Europe, elle a annoncé une prochaine décision sur le sujet avant juin 2016. Il est urgent que les citoyens s’emparent de ce débat pour ne pas le laisser entre les mains des lobbies qui dictent leurs lois.