
Il paraît que nous sommes en guerre. Pour l’immense majorité des français, il s’agit d’ une guerre en fauteuil, en spectateur devant des écrans de télévision, une guerre en vidéo qui occupe les débuts de soirée mais qui ne change rien au quotidien. Les images des quelques centaines de soldats engagés débarquant « sur le théâtre des opérations » leur rappellent malgré tout que ce conflit lointain a aussi une réalité physique.
Il paraît aussi que François Hollande a désormais renforcé son image, acquis pleinement une stature présidentielle : il a tous les attributs d’une mâle virilité régalienne, l’autorité sur nos armées, le pouvoir de décision sans partage, la force de frappe à portée de main. Il assume pleinement son rôle de chef, il mérite enfin son élection à la tête de la Vème République. A quelques exceptions près, la presse semble mue, guidée par un réflexe pavlovien qui induit une formidable uniformisation des analyses et des commentaires, sans doute la contribution des journalistes à l’unité nationale qu’appelle de ses vœux le Premier ministre Jean-François Ayrault. Les voix dissidentes sont insignifiantes et marginalisées.
L’atmosphère est devenue martiale. Les experts militaires ont la parole, ils envahissent les médias pour nous raconter la géographie du Mali, une étrange géographie en papillon désormais connue de tous : il y a un haut et un bas avec entre les deux une sorte de goulot d’étranglement qui est un peu la ligne de démarcation entre le Nord et le Sud, entre la zone contrôlée par les islamistes et la zone « libre » Les experts nous expliquent aussi les forces en présence, la diversité des groupes islamistes armés, qualifiés de « terroristes ». Les français découvrent subitement des mots barbares « Ansar dine », « Aqmi », « Mujao » . . . On comprend que nous ne sommes pas dans le cadre d’un conflit classique où deux armées adverses s’affrontent.
Mais, au final, Les choses sont claires et simples : il y a un pays agressé par des terroristes, un gendarme, la France, et un chef qui révèle enfin son caractère et sa fermeté d’âme, François Hollande. L’intervention militaire était nécessaire et demandée par le Mali ; elle respecte , même si elle les anticipe, les résolutions de l’ONU ; François Hollande a pris une décision courageuse. Les voix dissidentes ou divergentes sont marginalisées, insignifiantes. Les analyses sophistiquées, les tenants et les aboutissants, les causes sous-jacentes, tout cela s’efface devant la réalité militaire ; Subitement, il y a un agresseur et un agressé Chaque Français est sommé d’être un bon patriote. Nous subissons bien une communication de guerre.
L’intervention militaire Française était certes nécessaire pour éviter aux populations du Sud Mali de subir le joug des djihadistes et de la charia.
Et on aimerait croire aux motifs désintéressés, aux bons sentiments, aux bonnes résolutions. On aimerait pouvoir s’en tenir à l’analyse immédiate suggérée par les commentateurs : la France, patrie de la défense des droits de l’homme, intervient dans le seul but d’aider les maliens et pour protéger l’occident contre la menace terroriste.
Mais certains esprits chagrins ne pourront s’empêcher de penser que la France a aussi des intérêts à défendre aux alentours (notamment l’exploitation du minerai d’uranium par AREVA au Niger) et que cette guerre est également le résultat de nos erreurs passées, le résultat d’un certain nombre de tourments que l’occident continue à entretenir dans cette Afrique saharienne, touchée comme le reste du continent africain par la corruption , par l’affairisme, par l’argent facile des trafics en tous genres . Une petite minorité de la population profite de l’ouverture au monde, de la présence des multinationales étrangères, de l’ « aide » internationale, la moindre parcelle de pouvoir y étant exploitée, rentabilisée au maximum sur le dos des plus démunis, mais l’immense majorité de la population souffre. Parfois certains peuples sont même déplacés, comme les touaregs, pour satisfaire des appétits colonialistes. Tout cela constitue un terreau particulièrement fertile pour la montée des irrédentismes et de l’intégrisme religieux. Comment s’étonner dès lors de certaines rébellions ? Comment s’étonner qu’une population humiliée, fragilisée, se laisse parfois séduire par un fondamentalisme qui prône, face à la dépravation des mœurs provoquées par l’occident , face à l’argent et à ses vices, le retour de la vertu fanatique ?
Aujourd’hui, les français sont quand même un peu dans la position des pompiers appelés à la rescousse pour éteindre un feu qu’ils ont eux-mêmes allumé. Le feu pourra-t-il être circonscrit ? Il est malheureusement permis d’en douter.