
Plusieurs millions de personnes ont regardé l’émission Les pouvoirs extraordinaires du corps humain consacrée le 17 mars 2015 aux différences entre hommes et femmes. Transmutation d’hypothèses en certitudes, de points de vue situés en « vérités scientifiques », d’isomorphismes en dimorphismes, de différences au moins en partie socialement construites en différences naturelles, d’un projet de mise en question des stéréotypes en entreprise de validation d’un monceau d’idées reçues, d’un support de vulgarisation scientifique en outil de diffusion de croyances et de normes prescriptives… Les pouvoirs de France 2 sont réellement extraordinaires, et la chaîne publique en use avec une légèreté préoccupante.
Ce n’est pas la meilleure audience historique de l’émission Les pouvoirs extraordinaires du corps humain, mais elle se situe dans la moyenne et elle n’est pas négligeable : le 17 mars 2015, plus de trois-millions-deux-cent-vingt-mille personnes l’ont regardée en direct sur France 2 [1]. Le titre alléchant de ce septième numéro de l’émission (« Hommes / femmes, la vérité sur nos différences »), les bonnes critiques dans la presse et le bouche à oreille aidant, il est probable qu’outre les cent-soixante-cinq mille personnes qui l’ont vue en replay durant les sept jours suivants [2], bien d’autres verront son enregistrement. Je frémis à l’idée que parmi elles se trouvent des enseignants de SVT dépourvus de véritable formation sur le « devenir homme ou femme » qui y puiseront de quoi informer leurs élèves… et il y en aura, à n’en pas douter [3].
Bien qu’en concurrence avec une série TV cartonnant sur TF1, ce « magazine scientifique » diffusé à 20h45 avait toutes les chances d’attirer un large public au vu de son synopsis : « Entre Adriana Karembeu et Michel Cymes, comme entre chaque homme et chaque femme, il y a 0,2% de différence génétique. De ce détail découle une foule de conséquences […]. Epaulés par des scientifiques, les deux cobayes tentent de démêler le vrai du faux au sujet des différences entre hommes et femmes. […] Leur but : confirmer ou infirmer les idées reçues les plus répandues liées au genre ».
Télérama a bien aimé : la journaliste chargée d’en faire le critique, qui a également bien aimé le lamentable « Homo ou hétéro, est-ce un choix ? » diffusé par France 2 le mardi suivant [4], l’a jugé « instructif », et a trouvé « didactiques » les « explications neurologiques sur les zones cervicales »[5]. Comme il est d’usage chez les critiques d’émission télévisées à prétention scientifique, ne rien connaître au sujet traité (au point de confondre « cérébral » et « cervical » !) et a fortiori ne pas savoir si les propos tenus reflètent l’état des connaissances scientifiques ne l’a pas empêchée de recommander cette émission au titre des savoirs qu’elle était censée permettre d’acquérir. Pas de conditionnel, pas de prise de distance prudentielle et encore moins de commentaires critiques : apparemment, rien n’a éveillé sa suspicion. Puisqu’elle semble comme son collègue de La Croix avoir apprécié que l’émission combatte les stéréotypes [6], commençons par voir si c’est le cas. (...)