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Les restaurateurs les plus militants seront les plus touchés par la crise
Article mis en ligne le 14 mai 2020
dernière modification le 13 mai 2020

Fragilisé par les mesures de « distanciation sociale », le secteur de la restauration pourrait sortir complètement transformé de cette période difficile. Avec, notamment, la disparition de celles et ceux les plus attachés à la dimension écologique et sociale de leur métier, comme le craint Xavier Hamon dans cet entretien.

Xavier Hamon a été restaurateur pendant de nombreuses années avant de se lancer récemment dans un projet de formation alternative des cuisiniers. Il est le porte-parole de l’Alliance Slow Food des cuisiniers, qui vise à « politiser » le métier, et défend une cuisine faite de produits locaux, sains, émancipés des brevets, travaillés artisanalement et à prix juste. (...)

Xavier Hamon — Mes collègues sont très désemparés. Dans le réseau de l’Alliance des cuisiniers, on est tous engagés depuis la première heure dans la transformation de notre métier, pour lui donner une dimension écologique et sociale. Or, plus on est militant, plus on prend en compte les enjeux écologiques, climatiques, économiques, sociaux, les circuits courts, la revitalisation des territoires, et plus on est fragile.

Pour nous, faire notre travail de cuisinier, c’est chercher de bons approvisionnements et transformer la matière : cela demande du travail, du temps, du personnel compétent. Et, en plus, on voudrait payer cette compétence et ce travail, tout en ne cuisinant pas que pour une élite. On arrive rapidement à une équation difficile à résoudre. Ceux qui sont militants ont tendance à fragiliser leur entreprise, à ne pas se payer, à avoir des trésoreries tellement faibles qu’ils sont plus rapidement dans le rouge. (...)

on en a marre que l’on parle à notre place. On ne se sent pas représentés. Certes, les chefs étoilés nourrissent le prestige de la France. Mais ce type de cuisine, la haute gastronomie, est un marché très particulier. Ils bénéficient de cofinancements de leur activité avec des revenus de la publicité et de conseil, ont des contrats avec la grande distribution, l’agroalimentaire. Cela masque la réalité du métier, de ceux qui doivent vivre uniquement de leurs revenus professionnels.

Les cuisiniers de tous les jours, de collectivités, de brasseries, de bistrots, ont des engagements écologiques et sociaux qui ne sont jamais entendus (...)

il y a un certain mode de restauration est prêt à prendre le pouvoir : la restauration à emporter, livrée. Même avant la crise, le développement des plateformes comme Uber Eats ou Deliveroo a donné naissance, en banlieue parisienne, à des conteneurs transformés en cuisine pour produire à la chaîne des plats à emporter. Au début, ces plateformes livraient des produits issus de véritables restaurants. Ce n’est plus le cas.

Certains restaurants vont disparaître. Il va y avoir une redistribution des cartes et les plus gros pourront se servir dans le parc immobilier vacant (...)

À court terme, il y a une unanimité pour demander le maintien du chômage partiel jusqu’à la reprise de l’activité normale. À ce titre, on aimerait vraiment que les assurances soient contraintes de participer à l’effort, ce qui commence à être le cas. On aimerait que l’effort soit aussi partagé par les bailleurs et les propriétaires. Pour que ces derniers ne fassent pas fructifier leurs biens sur le dos d’une entreprise qui va faire faillite. Nous demandons donc une annulation des loyers.

(...)
les difficultés ne viennent pas de la crise, elles étaient bien antérieures. Il manque 200.000 cuisiniers en France. C’est un domaine qui n’arrive pas à recruter, mais il se refuse à analyser pourquoi. Pour y répondre, on a listé une série de solutions qui nous paraissent urgentes et indispensables.

Il faut se demander comment on s’organise pour travailler autrement, pour ne plus faire d’horaires coupés et avoir une vie sociale et familiale. On doit se battre pour que le cuisinier soit rémunéré à sa juste valeur. Sinon, on se retrouve uniquement dans un rapport économique, à utiliser des solutions toutes faites, avec des cartes qui changent peu et des salariés peu qualifiés. On se dirige vers la standardisation de l’offre, et on devient des faire-valoir de l’industrie agro-alimentaire.

On aimerait engager la profession, mais aussi les pouvoirs publics, à orienter fortement les approvisionnements, à créer un label de qualité très contraignant, à ce qu’un restaurateur qui ne fait que chauffer les plats soit davantage taxé qu’un autre qui fait travailler du monde et fonctionne en circuit court. (...)

Et puis, on peut former des cuisiniers autrement que par des rapports de force. On reste très souvent, dans les entreprises, dans un rapport de domination entre le sachant et l’apprenant. Ne durent dans le métier que ceux qui résistent à toutes les pressions. Les violences psychologiques, la misogynie, c’est une réalité. (...)