De nos jours, cette seule citation suffit à expliquer pourquoi les ressources, renouvelables ou non, sont considérées comme de simples consommations intermédiaires par les économistes, et non pas comme des facteurs de production. Cependant, l’histoire de la pensée économique nous enseigne qu’à l’époque de Jean-Baptiste Say, le débat faisait rage sur l’apport respectif du capital, du travail... mais aussi de la terre, à la création du produit global.
Il n’est pas aisé de comprendre comment les économistes ont pu au XXe siècle, sous l’impulsion de Robert Solow, établir des modèles de croissance d’où la terre avait mystérieusement disparu. Cette mutation est involontairement due à un économiste oublié, Henry George, auteur en 1879 de "Progrès et pauvreté", un ouvrage d’économie très populaire en son temps.
Dans cet essai, il posa les fondements d’une doctrine qui préconisait l’impôt unique sur la terre. Son raisonnement était le suivant : l’impôt sur le travail est le plus injuste puisque qu’il est une désincitation à travailler, ce qui est moralement indéfendable et économiquement inefficace. De même, l’impôt sur le capital ne peut que saper les bases de la production industrielle et les fondements mêmes du capitalisme.
L’impôt sur la propriété foncière, en revanche, ne fait que rétablir un peu d’égalité entre des héritages très inégaux dont certains tirent des rentes, aux dépens des autres. Face au succès populaire du "georgisme", les propriétaires terriens ont alors décidé d’agir. Comme souvent aux USA, le lobbying et l’argent ont fait merveille. Car c’est en finançant les grandes universités d’économie que les "barons voleurs", comme on les nommait parfois, ont réussi à faire disparaitre la terre des facteurs de production. A l’universite de Columbia, dirigée par un grand négociant en soie du nom de Seth Low, le département d’économie était présidé par un spéculateur foncier dénommé Richard Ely. Cette université a été le berceau de l’école néoclassique américaine, sous la direction de John Bates Clark. Idem à l’université de Chicago, présidée par le John D. Rockefeller de la Standard Oil, et futur berceau du monétarisme friedmanien. Tout ce beau monde avait à coeur de faire disparaitre des analyses économiques, plus que les ressources naturelles, la terre elle-même. Car en l’absence de propriété foncière dans les facteurs de production, il ne pouvait être question de taxer une cause d’enrichissement qui n’existait plus. La terre avait disparu des radars de la théorie économique.
Le crime parfait, en quelque sorte ? Pas si sûr. Car on vient de retrouver le cadavre de la victime, et il est en sale état. Les économistes vont avoir de plus en plus de mal à expliquer pourquoi ils ont mis tant d’énergie à cacher les traces de leur forfait
Wikipédia : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Henry_George_(%C3%A9conomiste)