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Les « vaches à laits » selon Le Point ou les vaches maigres du journalisme
Article mis en ligne le 14 novembre 2014

Après s’en être pris, il y a quelques semaines, aux « rentiers », Le Point entreprend, dans son numéro 2199 (du 6 au 12 novembre), de défendre les « vaches à lait ». Comprendre : « ceux qui paient toujours pour les autres ». À l’intérieur du magazine, 12 pages constituent un maigrelet « dossier » qui se fixe pour objectif, éléments chiffrés, graphiques et « études de cas » à l’appui, de démontrer que « notre État providence est déboussolé » et que « la surcharge fiscale qui pèse sur certaines catégories crée rancœur et incompréhension ». Une croisade contre les injustices fiscales ? Non. Un « dossier » caricatural qui présente comme une « enquête » un gros tract de défense des « classes moyennes », comme ils disent, sans que l’on sache où se situe la moyenne

Nous épargnerons à nos lecteurs une analyse exhaustive dudit « dossier », ainsi qu’une critique « politique » de son orientation. Après tout, la liberté d’opinion est un droit fondamental et Le Point a toute latitude pour développer un discours thatchérien et pour servir une (mauvaise) soupe néo-libérale… Mais les excès, les caricatures et les oublis qui jalonnent « l’enquête » du Point méritent que l’on s’y attarde un instant : une présentation à ce point partielle des faits et une interprétation tellement partiale qu’elle tourne le dos aux principes du journalisme le plus élémentaire.

Des « classes moyennes supérieures »… très supérieures

La thèse du « dossier » est la suivante : « les classes moyennes supérieures, les cadres, les commerçants, les professions libérales, certaines catégories de fonctionnaires sont au bord de la crise de nerfs. Chaque citoyen a évidemment conscience qu’il doit s’acquitter de sa part de l’effort national. Mais certains ont parfois la désagréable sensation de payer pour tout et pour tout le monde ». Et Le Point de s’alarmer : « les perceptions sont prises d’assaut – parfois violemment – par des contribuables hystériques ».

Tremble, peuple de France, la révolte gronde… Quels sont les faits ? Après vérification, nous n’avons pas réussi à trouver d’articles de presse faisant état d’émeutes fomentées, devant les centres d’impôts, par les « classes moyennes supérieures ». Mais peut-être Le Point a-t-il des informations à nous communiquer à ce sujet.

Qui sont les « classes moyennes supérieures » dont Le Point se fait le champion ? C’est le moins que l’on puisse demander quand il est question d’une « enquête ». Or l’hebdomadaire ne nous offre à aucun moment de définition précise de cette catégorie floue. On devra donc se contenter des deux « cas pratiques » proposés par le magazine, qui donnent une idée d’où se situent, selon Le Point, les « classes moyennes supérieures ».(...)

Les pauvres, ces privilégiés

On ne peut en outre manquer de relever, dans le dossier du Point, élément confirmant que nous avons affaire à un gros tract, des attaques à peine dissimulées contre les plus modestes, qu’il s’agisse des salariés, des chômeurs, ou même des retraités (à l’exception de « Paul » qui, avec ses 4.000 euros de pension, a probablement mérité qu’on le laisse tranquille). Les rédacteurs du dossier ont en effet une fâcheuse tendance à opposer les « vaches à lait » à d’autres catégories de la population, en l’occurrence les plus démunis. C’est ainsi que dès la première page de l’enquête, on apprend ce qui suit : « certains ont parfois la désagréable impression de payer pour tout et pour tout le monde. Phénomène renforcé par le fait que, lorsqu’on ne paie pas d’impôts sur le revenu – le gouvernement entend d’ailleurs faire sortir encore plusieurs millions de foyers fiscaux de l’IR en 2015 –, on tombe dans une sorte de cercle vertueux, en bénéficiant par exemple d’une taxe d’habitation allégée ».

Ne nous y trompons pas : les journalistes du Point ont parfaitement le droit de penser – si l’on peut encore là parler de pensée – que les plus pauvres bénéficient de privilèges abusifs. Mais puisqu’ils se prétendent journalistes, ils pourraient livrer quelques chiffres au lieu de psalmodier : « Heureux les miséreux, soyez les bienvenus dans le "cercle vertueux" de la pauvreté ! » ; « Heureux salariés à bas revenus qui devraient se réjouir de ne pas subir les assauts fiscaux dont sont victimes "Jean-Pierre et Nathalie" » ! ». Ces petits veinards de pauvres ont même des privilèges dont ils n’ont probablement pas conscience. (...)

On serait tenté de rire s’il ne s’agissait pas, une fois de plus, d’une ridicule et lamentable attaque, emplie de préjugés, contre certaines catégories de la population. (...)

Et le reste du « dossier » est à l’avenant. On apprend ainsi, entre autres, que « les retraités siphonnent les familles », que « l’État providence creuse les inégalités », qu’il est « inscrit dans les gènes de la France qu’elle protège certaines populations plus que d’autres » (ce avec quoi l’on pourrait s’accorder, mais dans une acception opposée à celle du Point), mais aussi que la récente modulation des allocations familiales est le résultat d’un « coup d’État ». Rien que ça… Et ce n’est pas l’interview « contrepoint » généreusement accordée à l’économiste Camille Landais, qualifié de « pikettyste » par l’hebdomadaire, qui permet de renverser la tendance… (...)

dans le même numéro, en dernière page, une publicité pour un récent modèle de montre Louis Vuitton, dont le prix de vente public représente la modique somme de… 50.000 euros.