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Les violences policières maltraitées dans les médias dominants
Article mis en ligne le 11 mars 2019

Il a fallu près de deux mois pour que les médias dominants se saisissent (au moins partiellement) de la question des violences policières, d’une ampleur pourtant sans précédent depuis le début du mouvement des gilets jaunes [1]. Mais même lorsqu’elles intègrent l’agenda médiatique, ces violences font l’objet d’un traitement biaisé : fausse objectivité, langage orienté, mise en avant des versions policières… Autant de travers, bien connus, du « journalisme de préfecture ».

Les biais qui caractérisent le traitement médiatique des violences policières sont peu ou prou les mêmes, dans la couverture d’événements impliquant l’intervention des « forces de l’ordre » : que l’on pense aux mobilisations contre les « lois travail », dans les quartiers populaires (comme récemment à Grenoble) ou en défense des ZAD (Notre-Dame-des-Landes, Bure, etc.), les occupations d’usines, de lieux de travail, de lycées ou d’universités. La couverture des mobilisations sociales récentes a été particulièrement symptomatique de ces travers médiatiques. Nous proposons ici un tour d’horizon des types de biais observés au cours des derniers mois.

Une fausse objectivité dans le choix des mots et la mise en contexte (...)

En omettant de nommer les policiers comme étant à l’origine des coups qu’ils portent, le récit des grands médias atténue leur responsabilité dans ces violences, blessures et mutilations.

Loin de rendre compte du conflit de manière « objective », les journalistes euphémisent, par le choix de leurs mots, les violences policières et évacuent le débat qui devrait avoir cours sur le rapport des forces en présence, les niveaux de répression, la légitimité des usages de la violence, etc. (...)

D’autres mécanismes et reflexes journalistiques contribuent à relativiser les violences policières dans leur contextualisation. Lorsqu’elles sont évoquées, ces violences sont mises en balance, en évoquant des « violences des deux côtés » ou en sous-entendant – voire en affirmant – que les policiers ne feraient toujours que répondre à une violence initiale. (...)

Une coproduction du récit médiatique avec la police et le gouvernement

Le suivisme des médias à l’égard de la communication « officielle » peut les conduire à une véritable co-production du récit médiatique avec les autorités. En témoignent les cadrages des sujets journalistiques qui, là encore, suivent le point de vue policier (« Extrême-violence des manifestants » ; « Quel dispositif prévoir pour éviter les violences ? » ; « Quelle politique face aux casseurs ? » etc.). (...)

Le résultat : le récit des mobilisations sociales est co-construit entre les médias, la police et le gouvernement. (...)

Le suivisme des médias à l’égard de la communication de la police peut conduire à la propagation de fausses informations. Nous l’avons déjà évoqué à propos de la mort des deux jeunes grenoblois (avec les fausses informations évoquant un scooter « roulant sans phares » et dont la police « aurait perdu la trace »). On peut également citer le cas des « gants plombés » dont aurait été muni Christophe Dettinger, le « boxeur » gilet jaune du 6 janvier. Une fausse information relayée par France Inter et par France 2 sur la foi de sources policières – et qui n’a pas fait l’objet du moindre rectificatif [8]…

Autre forme de coproduction du récit médiatique : la reprise systématique des « chiffres officiels » pour qualifier la participation aux manifestations (qui serait en « reflux » perpétuel).

Et même lorsque ces chiffres sont (timidement) remis en cause, il semble impossible de questionner la bonne foi du ministère. (...)

Un discours policier et sécuritaire servi sur tous les plateaux

Un des biais majeurs dans le débat médiatique sur les violences policières sur les chaînes d’information en continu a trait à la composition de leurs plateaux. Ceux-ci sont souvent très déséquilibrés, avec des éditorialistes, des « experts police/justice », des « spécialistes en sécurité » et des représentants des « forces de l’ordre » qui resservent tous le même discours policier. Ajoutons à cela la présence de députés LREM ou de membres du gouvernement, et la boucle est bouclée.(...)

Sur le fond, depuis le début du mouvement des gilets jaunes, on assiste à une escalade et à une surenchère dans les propos ultra-sécuritaire (...)

Leur virulence est d’autant plus grande dès lors qu’il devient impossible, pour les grands médias pour lesquels ils travaillent, de faire l’impasse sur les violences émanant de la police. Nous avions, à cet égard, relevé la manière dont les humiliations et les violences policières infligées aux lycéens de Mantes-la-Jolie avaient été relativisées et légitimées sur certains plateaux télévisés [12].

On peut également citer les propos de Luc Ferry sur Radio Classique le 7 janvier, appelant les policiers « à se servir de leurs armes une bonne fois ». Des propos sur lesquels est revenu Jean-Michel Aphatie le 2 février dans « C l’hebdo » (France 5), avec une complaisance témoignant d’un sens de l’indignation à géométrie variable. (...)

Comme pour nombre d’autres sujets, ces plateaux conduisent, sans surprise, à des débats indigents. Et si de nouvelles questions (comme celle de l’usage des LBD) arrivent bel et bien sur la table, elles sont traitées sans le sérieux qu’elles méritent et finissent par être inévitablement caricaturées [13]. Dans d’autres cas, comme lorsque la violence des manifestants est évoquée, il est impossible pour les gardiens de l’ordre présents en plateau d’entendre une parole qui s’éloigne un tant soit peu des sempiternelles condamnations - rappels à l’ordre (...)

Pourquoi une telle absence de recul vis-à-vis de la communication de la police et des autorités ? Nous tenterons de répondre à cette question dans le prochain et dernier article de notre série sur le traitement médiatique des violences policières.