
L’appétit insatiable des médias pour les « experts » entraîne nombre d’effets pervers que nous ne cessons de dénoncer. Il permet notamment de faire passer des opinions tranchées pour des avis neutres et objectifs et d’offrir une rente de situation à quelques médiacrates qui s’arrogent le monopole de l’analyse sur certaines questions, ou au contraire se font « spécialistes » de tout et de rien pour peu qu’on les sollicite.
Mais les besoins des médias sont tels que, parfois, les experts médiatiques patentés n’y suffisent plus. Il arrive alors que certains journaux tentent d’innover et fassent appel à des experts quelque peu étranges : c’est ainsi que ces dernières semaines, Le Dauphiné libéré et Métronews s’en sont remis respectivement à un spécialiste du comportement animal et à un « synergologue » pour éclairer leurs lecteurs…
Ou quand la réalité médiatique dépasse la fiction ! (...)
Appliquée à Manuel Valls prononçant son discours – le cœur battant –, voilà ce que donne une analyse synergologique : « Ce qu’il y a eu de différent de d’habitude chez lui, c’est l’utilisation plus importante de la main gauche, lui qui apprécie beaucoup la main droite (…) Or là, la main gauche a traduit la spontanéité et il l’a souvent utilisée. Il y a eu également pas mal de langue de délectation. La langue sort quand on veut se réjouir de son propos. Il a aussi eu recours à des codes inconscients de séduction avec les yeux, les paupières, quand il a parlé de dialogue social ou de nouvelle étape du quinquennat, qui sont les points sur lesquels il voulait particulièrement convaincre. Contre toute attente, on a eu un Manuel Valls assez expressif et en mode séduction. Ses index et ses majeurs ont également beaucoup bougé, ce qui a été la signature de son impatience, de son désir d’action » ; « La méthode Valls se dessine avec cette langue qui sort à gauche , c’est-à-dire qu’il va prendre le risque de dire des choses qui ne sont pas faciles à entendre ».
Avec cette contribution audacieuse à l’analyse politique, Métronews fait très fort, mais Métronews n’a pas le monopole de l’expertise saugrenue… (...)
N’ayant pas les compétences pour juger s’il est bien raisonnable d’appliquer à l’homme l’éthologie, c’est-à-dire la science du comportement… animal, on s’étonnera cependant qu’un quotidien régional, en principe chargé d’informer et d’éclairer le public, choisisse un tenant de cette étrange spécialité, spécialiste des chevaux de surcroît et se prétendant pour couronner le tout expert en détection du mensonge (humain ou animal, on ne sait plus) pour commenter un débat électoral !
À croire que Le Dauphiné a pris au premier degré, voire comme une prescription, la métaphore de « la course de petits chevaux » utilisée par les sociologues pour décrire (et critiquer) la façon dont les médias rendent compte de la compétition politique… (...)