
C’était il y a un an, quasi jour pour jour. Le vendredi soir du weekend de l’entre-deux-tours, j’étais avec un ami engagé en politique à mes côtés, et autour d’un burger et d’un verre de rouge nous avons passé la soirée à décider de ce que nous allions voter la semaine suivante. Une chose était sûre, nous ne voterions pas Le Pen. Voter blanc pour rester fidèles à nos convictions ? Il y avait quelque chose de séduisant là dedans, mais c’était aussi un trop gros risque de lui paver le chemin jusqu’à l’Elysée. Voter Macron alors ? Mais c’était céder aux mêmes travers que nos aîné.e.s qui pour la plupart ont cessé depuis bien longtemps de voter pour un.e candidat.e pour voter contre un.e autre. Pourtant derrière ce vote nous avions l’intime certitude que nous protégions les minorités ethniques, religieuses, sexuelles... qui auraient vécu l’enfer avec le Front National.
Alors non sans colère et dégoût, nous avons déposé un bulletin "Macron" dans l’urne.
Que reste-t-il de ce barrage au FN un an plus tard ? Une chose me réjouie, Le Pen au pouvoir aurait légitimé toutes sortes de violences venant de groupuscules d’extrême-droite, nous aurions alors banalisé tout ce qu’ils représentent.
Pourtant la violence, elle, nous l’avons bel et bien banalisée. Notre gouvernement mène une politique de répression des migrants comme jamais nous n’en avions connue. Il précarise encore plus les travailleu.r.se.s et les étudiant.e.s, brise ce précieux héritage qu’est le service public, réprime les mouvements sociaux dans la violence. Une partie de moi s’est déchirée quand j’ai vu la standing ovation réservée par les député.e.s FN à Gérard Collomb quand la loi Asile & Immigration a été présentée à l’Assemblée Nationale.
Finalement Monsieur Macron, vous avez déshonoré le peu de confiance que nous vous avions accordé. On savait que vous nous imposeriez des mesures libérales, radicales et injustes, mais nous ne pensions pas devoir vivre ces épreuves dans un climat répressif, dans un climat digne des plus célèbres romans dystopiques. Car parfois, je me dis qu’Orwell n’était finalement pas si loin de la vérité. Mais le plus douloureux c’est que vous faites exactement ce que nous refusions en votant pour vous. En faisant les yeux doux à l’Eglise, en réprimant les migrants vous montrez toute l’étendue de votre conservatisme social, tous vos points communs avec l’extrême-droite. Et pourtant malgré cela, je me félicite encore de ne pas avoir participé à l’élection de Le Pen par mon vote blanc. Finalement, c’est moi même que je dégoûte. Et pourtant.
Et pourtant je ne lâcherai rien, nous ne lâcherons rien. Car voyez-vous, la jeune picarde que je suis ne supporte pas de vous voir vous pavaner en parlant avec passion de votre terre natale. Les gens qui pensent que vous êtes notre fierté me dégoûtent eux aussi. Vous ne connaissez rien de cet endroit, ou tout au moins plus rien. Allez regarder un enfant droit dans les yeux à Beaucamp, à Flixecourt, et dites lui qu’il ne mérite pas d’avoir une chance dans la vie. Car ces enfants ce n’est pas de coupures de budget, de suppression de postes dans les écoles dont ils ont besoin, mais de temps, d’attention et d’encouragements. Allez leur dire que leurs parents méritent d’être au chômage à cause des fermetures d’usines, qu’ils ne méritent pas de pouvoir aller en ville, à l’université suite aux suppressions des petites lignes. Allez leur dire cela si vous aimez réellement cet endroit. Finalement, la seule chance qu’aura eu la Somme en 2017 c’est de prendre son destin en main et d’élire François Ruffin et Zoé Desbureaux. Car avec leur équipe, ils n’oublient pas que nous ne sommes pas juste bon.ne.s à déposer un bulletin tous les cinq ans dans une urne, mais des humains qui méritent des conditions de vie décentes.
Votre mépris finira par disparaître. N’oubliez pas comment l’absolutisme a fini il y a quelques siècles. On n’opprime pas le peuple dans l’indifférence, et ce que vous lui infligez, il vous le rendra au centuple. En réalité, vos réformes nous auront éveillé.e.s. Je me souviens des propos de Mathilde Larrere pendant un cours alternatif à Tolbiac : malgré l’échec, on apprend toujours d’un mouvement social, la fois suivante tout semble infiniment plus simple. Tout le sera en effet quand vous franchirez la ligne rouge et que la France entière se soulèvera. Vous nous avez confirmé cette nécessité d’une VIème République dans laquelle le président aura à rendre des comptes, dans laquelle il lui sera simplement impossible de se prendre pour le Grand-Manie-Tout. La grève nous a éveillé.e.s, elle nous a permis d’imaginer un monde meilleur sans déterminisme social, injustice ou inégalité. Un monde dans lequel nous élèverons des enfants dans des conditions bien meilleures que celles dans lesquelles nous avons été élevé.e.s. Nous n’en accepterons pas plus. Et n’ayez pas peur pour nos "examens en chocolat" comme vous aimez les appeler, car en ce beau mois de mai 2018, nous ne vous céderons ni notre service public, ni nos diplômes.
Selon les médias, le mouvement social est mort ? Alors vive le mouvement social !