
On entend souvent dire que “seuls ceux qui ont quelque chose à se reprocher ont quelque chose à cacher“, remarque “de bon sens” allègrement utilisée par ceux que ne dérangent pas -voire qui défendent- l’extension des mesures, contrôles et lois sécuritaires, et des technologies de surveillance qui leur sont associées.
...Les paranoïaques ne sont pas ceux qui s’étonnent d’être surveillés, mais ceux qui veulent surveiller tout le monde à tout prix. La question n’est pas de savoir si nous avons quelque chose à cacher, mais de renvoyer la question à ceux qui veulent nous “protéger” à l’insu de notre plein gré.
Dans une démocratie, c’est à l’accusation d’apporter les preuves de la culpabilité des suspects, ...
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Lettre ouverte à ceux qui n’ont rien à cacher
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Par Jean-Marc Manach le 21/05/10 | 3 commentaires | 818 lectures | Impression
“Apportez-moi deux lignes du plus honnête homme et j’y découvrirai de quoi le faire pendre.”
– Louis-Benoît Picard, inspiré de cette citation attribuée au Cardinal de Richelieu : “Avec deux lignes d’écriture d’un homme, on peut faire le procès du plus innocent“.
On entend souvent dire que “seuls ceux qui ont quelque chose à se reprocher ont quelque chose à cacher“, remarque “de bon sens” allègrement utilisée par ceux que ne dérangent pas -voire qui défendent- l’extension des mesures, contrôles et lois sécuritaires, et des technologies de surveillance qui leur sont associées.
Il fut un temps où la peine de mort relevait elle aussi du “bon sens“, tout comme auparavant l’interdiction faite aux femmes d’aller voter, ou encore le fait que les “nègres” et “bougnoules” ne pouvaient pas avoir les mêmes droits que ceux qui les avaient colonisés.
L’abolition de la peine de mort, tout comme le droit des femmes à aller voter, sans parler du droit des peuples à l’auto-détermination, ont été adoptés alors même que le “peuple” y était pourtant majoritairement opposé, par des hommes politiques ayant compris qu’il en allait des droits et libertés inhérents à ce que l’on appelle une démocratie.
En attendant de savoir jusqu’où notre société ira vers une prolifération de “Big Brothers“, ou si nous parviendrons à enrayer cette mécanique infernale, et à trouver les parades et arguments susceptibles de mettre un terme à la paranoïa sécuritaire de ceux qui nous gouvernent.
In fine, ou en résumé : le problème, c’est le voyeur, pas celui dont l’intimité ou la vie privée est ainsi violée. Les paranoïaques ne sont pas ceux qui s’étonnent d’être surveillés, mais ceux qui veulent surveiller tout le monde à tout prix. La question n’est pas de savoir si nous avons quelque chose à cacher, mais de renvoyer la question à ceux qui veulent nous “protéger” à l’insu de notre plein gré.
Dans une démocratie, c’est à l’accusation d’apporter les preuves de la culpabilité des suspects, pas à ces derniers d’apporter les preuves de leur innocence. Le problème des atteintes à la vie privée est éminemment politique, voire idéologique. Ce qu’il convient de démontrer, et ce que la presse “people” révèle relativement bien, par ailleurs.
Car ce qui pose problème aux “people“, ce n’est pas d’être exposé au regard du public : ils en vivent ; ce qui leur pose problème, c’est l’intrusion dans leur vie privée : ils voudraient juste avoir le “droit d’être laissé seul“, pour reprendre la fameuse définition de la vie privée que donna Louis Brandeis, avocat et membre de Cour suprême des États-Unis, à la fin du XIXe siècle :
“Ceux qui ont rédigé notre constitution entendaient sécuriser les conditions favorables à la poursuite du bonheur. Ils reconnaissaient l’aspect spirituel de la nature humaine, de ses sentiments et de son intelligence. Ils savaient que seulement une part des peines, plaisirs et satisfactions de la vie sont à trouver dans les choses matérielles. Ils cherchaient à protéger les Américains dans leurs croyances, leurs pensées leurs émotions et leurs sensations. Ils ont donné contre le gouvernement le droit d’être laissé seul – le plus étendu des droits et le plus estimé pour les êtres civilisés”
...Il existe de très nombreuses façons d’attenter à la vie privée de quelqu’un, et que même ceux qui n’ont “rien à cacher” peuvent en faire les frais.
Les milliers de Français nés à l’étranger qui, l’an passé, ont connu les pires difficultés pour renouveler leurs papiers, parce que suspectés de fraudes aux titres d’identité par des fonctionnaires tatillons ou suspicieux, devant leur rapporter moult papiers et preuves de filiation et de nationalité, n’avaient rien à cacher... ...
...En 2008, la CNIL a ainsi recensé 83% d’erreurs dans les fichiers policiers qu’elle a été amenés à contrôler....
...Initialement conçues pour sécuriser un petit nombre d’espaces privatifs particulièrement sensibles afin d’en restreindre les conditions d’accès (coffre-forts, ambassades et autres établissements officiels…), les technologies de surveillance ont envahi l’espace public, et commencent à grignoter nos sphères privées....