
(...) Monsieur le Recteur,
Vous nous écrivez ce matin, par voie académique, pour nous assurer de votre soutien total dans l’exercice de notre si beau métier.
Cette promesse intervient dans un moment forcément choisi : aujourd’hui, à Saint-Denis mais dans de nombreuses autres académies, un grand nombre de syndicats enseignants appellent à la grève pour rendre hommage à Christine Renon, notre collègue qui s’est suicidée à Pantin, et qui a ouvertement mis en cause dans une lettre adressée à sa hiérarchie la violence que les choix politiques actuels imposent à la communauté éducative. Pour elle, ni hommage national, ni solidarité présidentielle, mais un tweet de 144 signes de notre ministre qui n’a pas jugé utile de se déplacer. Ne vous y trompez pas : cet hommage est colère, avant tout.
J’écris ici en mon nom : enseignant depuis trois ans au Lycée Angela Davis de Saint-Denis, établissement dont j’ai vécu l’ouverture, je subis au quotidien, avec mes collègues, la violence et l’absurdité de ces mêmes choix qui poussent certains à l’irréparable.
Nous n’avons pourtant pas attendu votre lettre pour chercher l’aide que vous promettez aujourd’hui : nous en avons écrit une douzaine à votre rectorat, nous avons arraché deux audiences au terme desquelles des moyens dérisoires et humiliants nous ont été "gracieusement" accordés ; nous avons mobilisé parents, élèves, élus locaux et nationaux, syndicats... Au terme d’une bataille dans laquelle nous avons investi énergie, argent et désespoir, et après une vingtaine de jours d’attente en cette rentrée, nous avons appris, par un mail lapidaire de quatre lignes - les mots eux-mêmes coûteraient-ils si chers ? - que le rectorat nous accordait trois heures d’enseignement supplémentaires par semaine, quand nous en demandions quatre-vingt pour espérer travailler dans de dignes conditions. Quelles solutions nous reste-t-il aujourd’hui ? À quels moyens extrêmes votre inaction est-elle supposée nous pousser ? (...)
En tant que nouveau lycée de Saint-Denis, nous sommes à l’image des problèmes d’hier, mais surtout de ceux de demain : la fin programmée d’une éducation prioritaire dans les territoires qui l’exigent tant, la perpétuation des inégalités territoriales qui isolent injustement nos élèves, l’aveuglement coupable et de toute évidence volontaire du rectorat face aux violences et aux souffrances que cette situation génère chez nous, mais surtout chez ceux à qui nous enseignons. Et, à cela, s’ajoute l’incitation toujours plus grande à la réserve, maintenant inscrite dans la loi : il ne faut pas seulement souffrir, il faut le faire en silence.
Ne serait-il donc pas temps de cesser de se payer de mots ? À quand votre venue, par exemple, dans un lycée qui vous interpelle depuis maintenant trois ans ? À quand, surtout, le soutien concret et non symbolique que vous avancez aujourd’hui ? (...)
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