
(...) Le rapporteur public du Conseil d’État a ouvert la voie, lundi 19 juin, à une possible limitation du champ d’application du contrat d’engagement républicain (CER), que doit, depuis janvier 2022, signer et respecter toute association si elle souhaite toucher une subvention publique. Cet outil controversé a été mis en place par la loi « séparatisme » de 2021, et un collectif d’associations demande sa suspension devant la justice administrative.
Comparées aux récriminations portées par plusieurs dizaines d’ONG et de syndicats ayant saisi le Conseil d’État, les modifications proposées par le rapporteur public, Laurent Domingo, peuvent paraître modiques. Elles ne touchent en effet que deux des sept engagements inscrits au contrat.
La première coupe viserait le premier engagement, le « respect des règles de la République », qui stipule « l’interdiction d’entreprendre ou d’inciter à toute action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public ».
Pour le rapporteur public, « l’expression “action violente” est assez précise, de même que celle “les troubles graves à l’ordre public” », a-t-il expliqué lors de l’audience. En revanche, pour « les actions manifestement contraires à la loi », « il est là beaucoup plus difficile d’en saisir la portée » et notamment d’évaluer « le degré de violence » qui constituerait une violation du CER. (...)
La seconde amputation toucherait le cinquième engagement sur la « fraternité et la prévention de la violence ». Le rapporteur public plaide pour la suppression de la première phrase de celui-ci, qui stipule : « L’association ou la fondation s’engage à agir dans un esprit de fraternité et de civisme. »
Pour Laurent Domingo, si « on ne peut être que d’accord avec l’idée », il n’en reste pas moins que « l’engagement se réfère à un “esprit” » alors que le contenu de ces notions « n’est pas évident ». Il demande donc la suppression de cette phrase. Les associations devront toujours s’engager « à ne pas provoquer à la haine ou à la violence envers quiconque et à ne pas cautionner de tels agissements » ainsi qu’à « rejeter toutes formes de racisme et d’antisémitisme ». (...)
Le décret accusé d’aller plus loin que la loi (...)
En particulier, les actions « manifestement contraires à la loi » ne figuraient pas dans la loi qui évoquait uniquement les atteintes à l’ordre public. Comme le rappelle le recours, le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs eu l’occasion de se prononcer sur cet aspect et avait estimé qu’il « résulte des travaux parlementaires que cette dernière obligation vise les actions susceptibles d’entraîner des troubles graves à la tranquillité et à la sécurité publique ».
Or, poursuit le recours de Me Capdebos, le décret « interdit, plus largement, aux associations et fondations de mener toute “action manifestement contraire à la loi”, sans considération de l’existence ou non d’une atteinte portée à l’ordre public, laquelle n’est envisagée que de façon alternative – ainsi qu’en témoigne l’emploi de la conjonction “ou” ».
« De même, poursuivent les associations écologistes, l’obligation d’“agir dans un esprit de fraternité et de civisme”, particulière imprécise, excède le simple respect des “principes de liberté, d’égalité et de fraternité” prévus par la loi. »
« Compte tenu de leur imprécision et de leur caractère particulièrement englobant, ces obligations, non prévues par la loi mais imposées aux associations par le pouvoir réglementaire, tendent à conférer un large pouvoir d’appréciation à l’administration et sont, à ce titre, susceptibles d’entraver l’exercice de la liberté d’association », souligne encore Me Capdebos.
Un risque d’autocensure des associations
Représentant les associations Gisti, Droit au Logement et Utopia 56, les syndicats Solidaires et FSU, ainsi que le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature, les avocats Anne Sevaux et Paul Mathonnet dénoncent, dans leur mémoire, les risques d’autocensure qu’entraîne ce flou juridique.
Ils alertent sur le risque de voir « des associations renoncer, par exemple, à installer des campements sur le domaine public pour protéger des personnes sans abri ». « Ne pourraient donc plus bénéficier de financements publics les associations telles que Act Up, Les enfants de Don Quichotte, Les Amis de la Terre, qui ont recouru à des actions de désobéissance civile pour la promotion du droit à la santé, de l’environnement, du droit au logement, ou du droit des immigrés », poursuit le recours.
Les conclusions du rapporteur public, que le Conseil d’État est libre de suivre ou non, ont été accueillies avec une satisfaction relative par les avocats des requérants. « Ça permet de lever le doute quant à toutes les actions de désobéissance civile, notamment celles de Greenpeace quand, par exemple, ses militants vont repeindre des avions en vert », a réagi à la sortie de l’audience Me Capdebos. (...)