
Publié par les éditions Agone, Pour une socioanalyse du journalisme est l’introduction remaniée d’un précédent ouvrage publié en 2007, Journalistes précaires, journalistes au quotidien [1].
Le sous-titre de l’ouvrage – « Du journalisme considéré comme une fraction emblématique de la nouvelle petite bourgeoisie intellectuelle » – en définit la problématique qui prolonge un précédent travail de recherche de l’auteur portant sur les classes moyennes
En une centaine de pages (en petit format), Alain Accardo propose une analyse très dense qu’il est difficile de résumer sans la mutiler. On n’en retiendra ici que les aspects les plus saillants, en soulignant la question qui traverse cet ouvrage : dans quelle mesure les journalistes sont-ils individuellement et collectivement responsables de l’état de l’information et des médias ? Dit autrement : le déficit de pluralité, la course aux scoops et la pêche aux buzzs sont-ils imputables à des journalistes qui cavaleraient derrière les desiderata des chefferies, servant diligemment les intérêts et les volontés des puissants au sein du champ, ou bien à des structures économiques, juridiques, sociales et politiques de la production de l’information ? La question interpelle directement les militants politiques eux-mêmes, parfois prompts d’un côté à dénoncer certains comportements dont les journalistes seraient responsables, ou au contraire à les présenter comme surdéterminés par l’organisation de la profession et, littéralement, irresponsables de l’état de la presse. (...)
D’autres médias sont-ils possibles ?
Dès lors, quelle liberté peut-on reconnaître aux journalistes ? Quand ils revendiquent leur liberté, les journalistes, en général, manifestent en réalité la concordance des structures organisant la profession et leur propres aspirations subjectives, aspirations résultant largement de l’état desdites structures. Bref, « ils font librement ce qu’ils sont socialement programmés à faire » (p. 108) Celles et ceux qui se disent les plus libres sont bien souvent les journalistes qui, précisément, sont en position de domination, et peuvent justement influer sur l’organisation de la profession. Or cette influence se résume bien souvent à verrouiller l’ordre social organisant la profession.
« Quelle thérapie pour les médias dominants ? » : telle est la question à laquelle Alain Accordo apporte une double réponse à la fin de son ouvrage. (...)
« Les grands médias », dit-il, « sont partie intégrante des moyens de défense et de reproduction de l’ordre capitaliste et on ne saurait donc les changer en profondeur sans s’attaquer à ce qui est la racine de leur fonctionnement : la logique de marché et la recherche de la rentabilité et du profit maximum ». La « libération des médias » supposerait donc de « casser les reins aux empires de presse ». Et cela de deux façons : par l’expropriation de groupes industriels et financiers et par la création d’un grand service public de l’information.
Mais cela ne suffirait pas. Il conviendrait encore de « changer le type de journalisme et donc de journalistes que les structures actuelles ont façonné », en modifiant leur recrutement et en créant « un réseau d’écoles du journalisme » ajusté aux besoins d’un service public d’information, à la différence des médiocres écoles actuelles.
Ce n’est qu’au prix de ce double changement conjointement mené que le journalisme, « métier de la production symbolique » (p. 123) et donc puissant générateur d’affects, cesserait de contribuer à produire des sujets « dévoués corps et âmes » à l’ordre capitaliste établi (p. 125).