
Non, la télévision n’est pas morte. Selon le critère de la durée elle représente la troisième activité de l’existence humaine en France, après le travail et le sommeil, avec en moyenne 3h 50 par jour et par personne, sans compter les produits de télévision, de plus en plus nombreux, diffusés sur d’autres supports (ordinateurs, smartphones). C’est dire que l’ouvrage de Brigitte Le Grignou et Érik Neveu, Sociologie de la télévision [1] ne manque pas d’actualité. Très documenté, très dense, il présente des approches sociologiques éclairantes, et qui mettent en cause nombre d’idées reçues sur ce média et ses effets. Notre recension doit être considérée comme nécessairement limitée aux grandes lignes du livre, une invitation à sa lecture.
(...) la télévision est :
– « Le terme [qui] désigne un appareil de réception d’images, des programmes spécifiques, un univers d’acteurs économiques. (…) des technologies électroniques qui permettent de produire, de diffuser, de recevoir des images animées et des sons » ;
– « une activité économique qui consiste à vendre [ou à rendre disponibles] des contenus informationnels ou récréatifs à des récepteurs individuels » ;
– « ce média, décrit comme en phase terminale, [qui] mobilise en moyenne près de quatre heures d’attention par jour en France » ;
– progressivement devenue un domaine d’études, les television studies, composé de courants « qui se complètent, s’opposent, se combinent aussi » (économie politique, sociologie du travail, analyse en termes d’« effets de pouvoir exercés par la télévision », « approches sémiologiques, discursives ou esthétiques », et études des publics). (...)
les mesures quantitatives, « recueillies et exploitées avec finesse par les services d’études des chaînes ou par des organismes de recherche extérieurs à la télévision […] donnent accès à une véritable connaissance du public et de ses pratiques. » Elles permettent notamment de nuancer sérieusement l’opposition classique entre « grand public », gros consommateur de télévision, et public raffiné, plus sélectif. Le « grand public », par exemple, se révèle plus demandeur d’informations que d’émissions de variétés. Par ailleurs, malgré la multiplication des chaînes et des supports d’accès à la télévision, les auteurs, tout en constatant une forte évolution des usages, n’observent aucune mutation radicale : « On consomme toujours plus de télévision, et le public n’est ni vraiment volatil, ni totalement spécialisé ».
C’est « à la recherche du téléspectateur réel » que s’attachent les approches qualitatives du public, que l’on appelle les études de réception. Il s’agit d’appréhender ce téléspectateur en tant qu’« acteur social » dans ses diverses relations et groupes d’appartenance, et d’observer non seulement ce qu’il regarde à la télévision, mais aussi comment et dans quelles conditions concrètes, il-elle le regarde. Des enquêtes portant sur les séries télévisées montrent combien les réceptions sont diverses et articulées aux conditions sociales d’existence des téléspectateurs. À contre-courant du « cliché de la masse influençable et influencée », ces observations mettent en relief un certain esprit de « résistance » d’autant plus affirmé que le public est proche géographiquement ou concerné par l’événement. Ce qui conduit à relativiser l’influence supposée de ce média central. (...)
C’est sans doute dans ses effets sur le champ économique que la télévision est la plus pauvre. La question serait plutôt : quels effets a le champ économique sur la télévision ? L’insertion dans des groupes privés dépendant en partie des annonceurs limite déjà drastiquement la liberté d’enquête. Par ailleurs, sur le terrain de l’information économique, « la télévision est un média dominé », les sources d’information des entreprises étant surtout écrites. Il existe bien des télévisions spécialisées (Bloomberg TV), dont la fonction est « davantage de rendre promptement accessibles des données » (107), et qui sont quasi-confidentielles.
Conclusion
Avec le regret de n’avoir pu en faire davantage, les auteurs évoquent en conclusion un aspect non traité : comment, à l’échelle internationale, la télévision peut être l’instrument d’un soft power, longtemps apanage des États-Unis, désormais concurrencés sur ce terrain (BBC, Al Jazeera, France24).
Ils soulignent par ailleurs, le caractère globalement conservateur du petit écran, que ce soit en matière d’innovations techniques, de mœurs, d’ouverture aux contestations. Les idées reçues et le conformisme intellectuel dominent : « S’y invente à l’inverse le personnage de l’intellectuel « tout-ologue », généraliste en doctes platitudes. S’y produit à loisir l’expert dont le propos diagnostique rarement des dysfonctionnements systémiques. ». Ce n’est pas dans les rangs d’Acrimed que l’on dira le contraire.
Terminant sur une note positive, les auteurs voient dans le renouvellement des séries « bousculant les conservatismes » et la multiplication des chaînes un « frémissement d[e] renouveau ».