
L’histoire retiendra-t-elle que, le 11 janvier dernier, près de quatre millions de Français secoués par les attentats de Paris ont manifesté en faveur de… la loi Macron ? De prime abord, le rapport ne saute pas aux yeux entre la tuerie de Charlie Hebdo et un texte qui étend le travail dominical, facilite les licenciements collectifs, privatise des aéroports et supprime les peines de prison pour les patrons coupables de piétiner le droit syndical.
Aux esprits étriqués qui n’auraient pas saisi le lien, le représentant d’un cabinet de lobbying invité sur la chaîne BFM Business expliquait dès le lendemain du grand défilé : « Le moment d’unité nationale autour de ce qui s’est passé peut avoir des prolongements dans le vote de ces textes, parce que les prémices étaient déjà là, dans une sorte de consensus sur la nécessité de libéraliser l’économie (1). » Sans doute nouées par la timidité, les foules n’avaient pas osé, jusque-là, crier leur désir de loi Macron. A en croire l’extralucide Nicolas Baverez, cette pulsion impérieuse serait même le véritable motif des manifestations. « Le 11 janvier 2015, écrit-il, les Français ont adressé au monde et à leurs dirigeants un message de dignité et de courage, dont l’esprit est clair : sortir du déni, lever les tabous, passer des paroles aux actes. Ces principes (...) ne seront crédibles que s’ils s’appliquent aussi à la réforme économique et sociale » (Le Point, 12février 2015). Sur les pancartes « Je suis Charlie », il fallait en réalité lire « Je suis Macron ».
Profiter d’un événement traumatique pour imposer des décisions impopulaires : cette « stratégie du choc » séduit aussi Pierre-Antoine Delhommais. L’éditorialiste a déjà planifié l’étape suivante. « Le gouvernement de Manuel Valls se retrouve aujourd’hui en position de force pour passer outre aux braillements des frondeurs, aux lamentations des syndicats et de tous ceux qui s’opposent aux réformes d’envergure dont la France a besoin pour vaincre ses archaïsmes et débloquer son économie, par exemple touchant à l’organisation du marché du travail ou aux trente-cinq heures. Pour renforcer ce souffle libéral qui a inspiré la loi Macron et pour aller bien plus loin (...)