
Loin de s’opposer au texte de Bernard Cazeneuve qui est mis à l’examen ce lundi, les députés font surenchère de mesures sécuritaires pour lutter contre le terrorisme, en oubliant le respect élémentaire des libertés fondamentales.
Ce lundi après-midi, les députés examinent à l’Assemblée Nationale en procédure d’urgence le projet de loi anti-terrrorisme de Bernard Cazeneuve. Un de plus, assuré de succès par l’actualité de l’Etat Islamique et de ses vidéos qui secouent légitimement les émotions, au détriment parfois de la raison. En témoigne le concours d’amendements plus redoutables les uns que les autres, dont Marc Rees nous résume parfaitement l’intérêt stratégique sur Next Inpact : "Tous ces amendements, parfois mal ficelés, n’ont aucune garantie d’être adoptés en séance. Ils auront le mérite en tout cas de faire passer le texte de Cazeneuve comme celui d’un jésuite. Pour son plus grand soulagement".
C’est une technique de manipulation mentale bien connue, dite de porte-au-nez, qui permet de faire adopter en souplesse un projet de loi pourtant redoutable pour nos propres valeurs démocratiques, en le faisant passer pour préférable à ce qui serait pire encore. (...)
Nous avions vu déjà certaines de ces propositions, comme le fait d’interdire Internet aux éventuels futurs djihadistes, pendant une durée "minimum" de 5 ans. Une sorte de peine de mort numérique pour les pas-encore-coupables, avec droit de résurrection à une date ultérieure. Mais les amendements déposés au projet de loi anti-terrorisme (que La Quadrature du Net renomme à juste titre en projet de loi sur les Présumés Terroristes) regorgent d’autres propositions qui rivalisent de disproportion.
Ainsi par exemple, cet amendement se propose d’assimiler au terrorisme le fait de :
Consulter habituellement un ou plusieurs services de communication au public en ligne ou des messages émis par la voie des communications électroniques ou détenir des documents provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, sauf lorsque la consultation ou la détention résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou a pour objet de servir de preuve en justice.
L’internaute trop curieux, qui irait télécharger un manuel de C++ en arabe et un best-of macabre des attentats d’Al-Quaeda pourrait ainsi être jugé coupable de terrorisme, même s’il n’a développé aucune arme logicielle et n’a lui-même découpé aucune tête ni posé la moindre bombe. S’il n’est pas journaliste de profession mais simplement curieux de connaître et comprendre ses contemporains, il ne pourra pas consulter sans risques les réseaux sociaux de l’Etat Islamique, de peur d’être accusé de partie lier. (...)
Sébastien Pietrasanta feint d’ignorer, malgré les récents rapports du Conseil d’Etat ou de la Cour des comptes qui le rappellent, que l’avènement des réseaux sociaux et des plateformes d’hébergement de contenus amateurs a rendu très poreuse la ligne de démarcation entre les éditeurs et les hébergeurs. Par exemple, Numerama est responsable dès la première minute de ce qui est écrit et publié par la rédaction, pas des commentaires ou des messages sur le forum qui sont publiés par les internautes. Nous n’en devenons responsables qu’à défaut de réaction après notification.
Or supprimer la subsidiarité dans l’action contre les apologies au terrorisme, c’est multiplier les risques de surblocage en usant d’armes toujours plus lourdes pour supprimer un contenu précis. L’éditeur peut supprimer un message ou une vidéo ; l’hébergeur peut supprimer un site ; le FAI peut bloquer tout un nom de domaine ou une adresse IP de serveur.