
L’Agence France Presse (AFP), les publics l’ignorent trop souvent, est indispensable à l’information. Non que ses productions soient au-dessus de toute critique (comme en témoigne notre rubrique consacrée à certaines de ses dérives), mais parce qu’elle joue un rôle irremplaçable. Notamment en ce qui concerne l’information internationale, alors que les correspondants permanents des médias clients de l’Agence se raréfient.
En cours d’adoption, la « Loi de modernisation du secteur de la presse » (dont nous avons discuté ici même certaines dispositions) prévoit des modifications très inquiétantes dont la lecture, peut-être fastidieuse, est nécessaire.
Leurs principes sont toujours les mêmes : alternativement ou conjointement, assujettir l’AFP à un contrôle de l’État et/ou envisager sa privatisation même partielle.
La dernière des attaques en date contre l’AFP a pour origine une plainte déposée par une agence allemande (DAPD, disparue depuis) devant la Commission européenne pour concurrence déloyale. Et ladite Commission, protectrice comme on sait de la « concurrence libre et non faussée », même, lorsqu’il s’agit de services publics (rebaptisés missions d’intérêt général), a demandé des comptes au gouvernement français… qui s’est empressé de les fournir. En janvier 2012, pour tenter de parer aux attaques de Bruxelles, l’Assemblée nationale avait adopté un amendement définissant les missions d’intérêt général (MIG).
S’en est suivi avec la Commission européenne un long échange d’arguties juridiques et commerciales, consignées dans un document de 40 pages (que les syndicats ont fini par obtenir non sans peine et dont la lecture détaillée est déconseillée à quiconque souffre de maux de tête) [1]. Il se conclut par la préconisation bruxelloise de « mesures utiles ».
Or, ce sont ces « mesures » que la loi de modernisations de la presse, à côté d’autres modifications qui ne sont pas anodines, transpose dans le droit français, en modifiant la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957.
À quoi il convient d’ajouter le « rapport sur l’avenir de l’Agence France-Presse » remis par le député PS Michel Françaix en mars 2014 : entre autres préconisations, le député proposait « une filiale technique de moyens »… (...)
Les modifications reviennent, pour l’essentiel, à ceci :
(1) Distinction entre les missions d’intérêt général (pour lesquelles les aides publiques seraient admissibles) et des activités qualifiées de commerciales qui font l’objet d’une comptabilité séparée.
La loi en cours d’adoption ajoute dans l’article 13 :
« Les activités de l’Agence France-Presse ne relevant pas des missions générales définies aux deux alinéas précédents et à l’article 2 font l’objet d’une comptabilité séparée. »
Or c’est l’existence même, et l’objet, de l’AFP qui est « d’intérêt général ». Ainsi, en un seul amendement, la loi autorise l’AFP à avoir des activités commerciales qui ne relèveraient pas de sa mission d’intérêt général et qui ne peuvent bénéficier d’aucune aide publique.
(2) En application de la séparation des comptabilités, la compensation financière versée par l’État est réduite (...)
La modification des dispositions appliquent désormais à l’Agence les mêmes règles qu’à toute entreprise privée, la privent de tout secours financier de l’État et laissent l’AFP à la merci d’une éventuelle faillite. (...)
Paradoxalement, et en contradiction avec l’article 2 du statut, cité plus haut, l’AFP a créé depuis plusieurs années une filiale dite « corporate » dénommée « AFP Services » qui fournit des (publi) reportages aux entreprises ou aux institutions. Des gros contrats ont été signés avec des fédérations sportives et avec la Commission européenne. Au risque de voir un jour ces clients influencer ou compromettre l’exactitude et l’objectivité de l’information. (...)
L’évolution de l’AFP et notamment les modifications introduites par la loi peuvent sembler anodines. Mais elles ouvrent la voie à des transformations qui ne peuvent que satisfaire les partisans, plus ou moins avoués, d’une privatisation de l’Agence. Danger !