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Loi « sécurité globale » : vers une information estampillée « préfecture »
Article mis en ligne le 23 novembre 2020

Le 17 novembre, des rassemblements avaient lieu dans plusieurs villes contre le projet de loi « sécurité globale ». À Paris et ailleurs, des violences verbales et physiques contre les journalistes (entre autres !) ont été constatées et attestées par des images et des vidéos dont le gouvernement souhaite précisément interdire la diffusion [1]. Entraver en permanence le travail de reportage et de documentation : voilà l’objectif poursuivi par les autorités. En témoigne la répression du rassemblement 17 novembre, au cours duquel les policiers ont appliqué le projet de loi… par anticipation.

Une dizaine de journalistes entravés et violentés

À Toulouse, un journaliste de Reporterre a rapporté avoir « été pris à partie par un CRS alors qu’il lui montrait sa carte de presse. » « Je n’en ai rien à foutre de ta carte de presse » lui aurait ainsi lancé un policier « avant de [la] lui jeter par terre en disant : "profites-en c’est la dernière fois." » Des brimades verbales qui se sont accompagnées, pour de trop nombreux journalistes, une nouvelle fois, de violences physiques. À Bayonne, le photographe Guillaume Fauveau a été entravé et menacé par des policiers alors qu’il était lui aussi en reportage. Dans un témoignage publié le lendemain, il annonce avoir déposé plainte. Ce fut également le lot de plusieurs journalistes lors du rassemblement parisien. (...)

Schéma de maintien de l’ordre et loi « sécurité globale » : la double peine

Au-delà des violences physiques, on a assisté à de nouveaux phénomènes. Ainsi de ces sommations, spécifiquement destinées aux journalistes, captées par le reporter vidéo du Figaro Thibault Izoret :

Les journalistes qui avez une carte officielle, je vous demande de la présenter et de partir ! Maintenant on a pour ordre d’interpeller. Si vous êtes dedans, on vous interpelle également. Donc les journalistes, soit vous circulez tout de suite derrière les forces avec votre carte pro. […] Dernière sommation pour les journalistes ! Vous quittez les lieux avec votre carte de presse, ou on vous interpelle !

Une scène appelant au moins deux commentaires.

Premièrement : ces sommations illustrent ce que nombre de syndicats de journalistes, de collectifs et d’associations (dont la nôtre) dénonçons depuis longtemps : la prétention de la police à décréter qui est journaliste et qui ne l’est pas, sur la base qui plus est de la détention d’une carte de presse – soit un critère qui, rappelons-le une énième fois, n’est pas reconnu par la loi, comme le rappelle le SNJ-CGT (...)

Si la réalité du terrain (entraves, brimades, violences) pour les journalistes disposant d’une carte de presse est alarmante, celle des journalistes qui n’en possèdent pas devrait inquiéter tout autant… En ce sens, le contexte devrait inciter les médias dominants à cesser de faire l’impasse – comme c’est encore trop souvent le cas aujourd’hui [3] – sur les violences subies par les journalistes indépendants ou travaillant pour des agences et des médias indépendants, avec ou sans carte de presse. À moins d’entériner la distinction fallacieuse parmi celles et ceux qui exercent la profession, souhaitée (entre autres) par la majorité actuelle.

Au-delà même de la question du statut de journaliste, il en va de la liberté des citoyens et de nombreux lanceurs d’alerte, au rang desquels figurent par exemple tous les « anonymes » filmant les violences policières (...)

Deuxièmement : les sommations spécifiquement destinées aux journalistes sont une entrave manifeste au droit d’informer. À la liberté d’un journaliste de se positionner où il le juge bon et utile dans la manifestation de façon à réaliser son reportage. Elle n’en reste pas moins une résultante du nouveau « Schéma national du maintien de l’ordre » (SNMO). Schéma que nombre de syndicats de journalistes et d’associations (dont la nôtre), là encore, ont dénoncé au moment de sa publication par le ministre de l’Intérieur le 16 septembre dernier, entrevoyant précisément le risque encouru pour les journalistes couvrant les manifestations sur le terrain. (...)

Sans doute certains policiers et syndicats de policiers espèrent-ils généraliser, à l’ensemble des manifestations, les pratiques qu’ils avaient mises en œuvre au moment où ils réprimèrent la lutte sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ou sur la ZAD de Bure : parquer les reporters (avant de les évacuer en leur interdisant de filmer) et fournir leurs propres images aux grands médias, que certains reprenaient d’ailleurs allègrement [8].

Tant il est vrai que l’information sort toujours gagnante de ce genre de pratiques… Un exemple récent : le 17 novembre au matin, la préfecture de police procédait à l’évacuation des exilés présents à Saint-Denis, au bord du périphérique. La Préfecture de la Seine-Saint-Denis communique tambour et images battants sur les réseaux sociaux, relayant sa propre célébration par le ministre de l’Intérieur (...)

Une communication n’ayant que bien peu à voir avec la réalité accablante des reportages et des images que diffuseront ensuite (voire simultanément) journalistes et organisations, à l’instar de l’association Utopia 56, du collectif Solidarité Migrants Wilson, ou de Dorine Goth pour Actu.fr.

Une information contrôlée, un journalisme aux ordres : tel semble être désormais l’horizon « démocratique » promu par le gouvernement et la Préfecture… voire la règle ici et maintenant, si l’on en croit Gérald Darmanin. (...)
plus orwellien que jamais : le projet de loi « Sécurité globale » vise à « garantir évidemment la liberté d’informer » [10]. Une liberté d’informer totale, que les journalistes – indépendants ou non – présents au rassemblement, auront en effet pu vérifier…

On ne sait guère où compte s’arrêter la course autoritaire et liberticide du gouvernement actuel, ni jusqu’à quel stade il souhaite mener son offensive contre la liberté d’informer. Car les charges viennent en réalité de toutes parts (...)

Réécrivons-le encore une fois : ce n’est pas au gouvernement (secondé par des médiacrates fort dociles), et encore moins à la police, de décréter qui est journaliste et qui ne l’est pas. Quant à la loi « Sécurité globale » et son article 24, la position d’Acrimed est claire : retrait !