
Bouleversées par les mouvements féministes, les normes du genre masculin sont questionnées. La représentation traditionnelle de l’homme forcément viril, puissant et dominant, vacille, et la masculinité se fait plurielle. Toute la semaine, Télérama interroge au quotidien les contours de ces hommes d’un nouveau type. |
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REGARDE LES HOMMES CHANGER (1/9) – Ils sont écrivains, artistes, youtubeur… Dans le sillage de #MeToo, Simon, Yann, Marin et les autres déboulonnent les codes de la masculinité virile, dominatrice et hétéronormée. Et inventent de nouvelles façons d’être des hommes.
Adolescent, Simon Johannin s’est réveillé un matin avec une barre de traction au-dessus de la porte de sa chambre. Elle n’y était pas la veille. « Mon père l’avait installée sans m’en parler, parce qu’il trouvait que je n’étais pas assez musclé », se souvient le romancier de 27 ans, glabre et longiligne. Dans le hameau de l’Hérault où il grandit, au pied de la montagne Noire, sa délicatesse détonne avec la rudesse des éléments et des hommes. « J’étais entouré de modèles masculins hyper virils, tellement différents de moi que j’ai mis longtemps à intégrer le fait que j’étais un garçon. »
Dans les films, Simon trouve les mêmes injonctions à la puissance physique ; et celle à dominer les femmes… Jusqu’à ce qu’il découvre Buster Keaton. « Il avait un physique athlétique mais une douceur infinie. La violence que l’on attendait de moi pour être un homme, je n’en voyais aucune chez lui. » Aujourd’hui, les jeunes hors des clous qui peuplent les romans qu’il coécrit avec sa femme Capucine n’ont aucun complexe à exprimer de la tendresse, tout en ayant intégré les codes de la violence. « Comme moi, ils cherchent où placer le curseur. Naviguer entre ces différents repères m’a permis de ne pas étouffer. » (...)
Simon Johannin fait partie de ces artistes pas encore ou tout juste trentenaires qui, par leur travail et leur discours, tentent d’alimenter un appel d’air dans la représentation traditionnelle de la masculinité – avec l’espoir d’entraîner sa combustion définitive. Enterrer pour de bon la chimère antédiluvienne d’un « ethos viril et hégémonique, fondé sur un idéal de force physique, de fermeté morale, de puissance sexuelle et de domination masculine », comme l’écrivaient les historiens Georges Duby et Michelle Perrot (1).
Éduqués par les mouvements féministes
Une invention sociale qui opprime les femmes, entrave les hommes et qui est donc un fardeau pour toutes et tous. (...)
Pour Yann Gael, la question du genre est indissociable de la question raciale. Comédien franco-camerounais de 34 ans, il a grandi en Bretagne avant de rejoindre la région parisienne. Parce que noir, il a le sentiment d’avoir subi des injonctions plus fortes encore : « On attendait que je sois plus violent et que je prenne plus de place, alors que j’étais discret et renfermé. Sans personne qui me ressemblait, je n’avais pas de modèles en qui me reconnaître. » Dans un recueil de textes autour de la masculinité noire dirigé par l’écrivaine camerounaise Léonora Miano (2), Yann Gael écrit que la masculinité est « ce qui fait que l’autre vous désire ou a peur de vous ». Dès ses débuts, il a l’impression d’être uniquement ce que son corps inspire aux autres. « Quand j’ai eu mon premier grand rôle dans la pièce Chocolat, clown nègre, mise en scène par Marcel Bozonnet, tout le monde parlait de mon corps athlétique et non de mon jeu. » (...)
Pour Yann Gael, la question du genre est indissociable de la question raciale. Comédien franco-camerounais de 34 ans, il a grandi en Bretagne avant de rejoindre la région parisienne. Parce que noir, il a le sentiment d’avoir subi des injonctions plus fortes encore : « On attendait que je sois plus violent et que je prenne plus de place, alors que j’étais discret et renfermé. Sans personne qui me ressemblait, je n’avais pas de modèles en qui me reconnaître. » Dans un recueil de textes autour de la masculinité noire dirigé par l’écrivaine camerounaise Léonora Miano (2), Yann Gael écrit que la masculinité est « ce qui fait que l’autre vous désire ou a peur de vous ». Dès ses débuts, il a l’impression d’être uniquement ce que son corps inspire aux autres. « Quand j’ai eu mon premier grand rôle dans la pièce Chocolat, clown nègre, mise en scène par Marcel Bozonnet, tout le monde parlait de mon corps athlétique et non de mon jeu. » (...)
En conséquence, le comédien privilégie désormais les tournages aux Antilles, avec des réalisateurs noirs, et travaille moins en métropole. « Pouvoir dire non, c’est un privilège : la plupart des rôles principaux étant masculins, les acteurs prennent moins de risques que les actrices en envoyant tout valdinguer. » (...)
Le mouvement #MeToo a été un électrochoc pour eux tous. Il a convaincu Yann Gael de la nécessité de s’emparer du problème de la domination masculine dans le milieu
cinématographique. (...)
« #MeToo m’a fait comprendre que les porcs ne pouvaient pas être que des types loin de moi, avoue pour sa part Marin Fouqué, inconditionnel de Virginie Despentes. C’étaient aussi des amis à moi. C’était aussi moi. » Quant à Simon Johannin, son entourage féministe l’a amené à modifier son rapport à la séduction ou aux tâches ménagères. « Ça m’a responsabilisé. Dans les conversations, j’avais été habitué à imposer mon point de vue, à couper la parole. Aujourd’hui, j’ai beaucoup plus envie d’écouter que de parler. » (...)
DanyCaligula, 28 ans et plus de cent mille abonnés à sa parole fleuve sur YouTube, est né en banlieue parisienne dans un cadre où « être homo était impensable ». Sa masculinité s’est construite entre la virilité sans complexe du rap et celle, bien différente, de la culture japonaise. Il découvre les questions de genre avec Simone de Beauvoir et la pensée féministe l’aide à mieux accepter sa bisexualité. Il se bâtit une popularité en réalisant des vidéos de philosophie mais, en 2016, vit en ligne ce qu’il a déjà connu dans sa scolarité, puissance mille : une vague de harcèlement ultra violente ciblant sa masculinité. (...)
« Ils ont tapé en plein dans mes angoisses, reconnaît Dany. Pendant huit mois, j’ai traversé une grave dépression. Je me suis retrouvé isolé, précarisé, sans domicile fixe. » Lorsqu’il réapparaît deux ans après, DanyCaligula s’est affirmé, dans son look comme dans sa parole. Il revient devant les internautes sur la violence homophobe et masculiniste (celle de militants misogynes) qui s’est abattue sur lui et ses conséquences psychologiques. « J’assume d’être cassé, mais j’ai vu que la dépression était un tabou pour les autres mecs. »
Un classement des masculinités toxiques
De ces autres-là et de leurs comportements, il discute pendant des heures en direct sur la plateforme de streaming Twitch. Une sorte de radio libre de la masculinité, qui mêle témoignages, références philosophiques, conversations politiques et humour Internet. « Je n’ai pas toutes les réponses, mais j’essaye déjà de normaliser le fait de poser les questions. » Surtout, il veut comprendre ceux qui continuent de l’insulter : « fachos » et « mascus », pour « masculinistes ». (...)
Le chemin est long, mais une chose est sûre : quelle que soit la façon dont elles sont vécues, et comment elles changent leurs relations avec les femmes, ces interrogations sont passées au premier plan pour les jeunes hommes d’aujourd’hui. (...)
MASCULINITÉS, LE SOMMAIRE ♦ Lundi 7 décembre : Tour d’horizon des nouveaux codes du masculin définis par les moins de 40 ans ♦ Mardi 8 décembre : Le sociologue Francis Dupuis-Déri décrypte les mutations actuelles ♦ Mercredi 9 décembre : Analyse des stéréotypes masculins dans la publicité et Le masculin dans le cinéma d’aujourd’hui ♦ Jeudi 10 décembre : La misandrie, qu’est-ce que c’est ? ♦ Vendredi 11 décembre : Guerre 14-18 : et la virilité tomba de son apiédestal… ♦ Samedi 12 décembre : Comment sont représentés les hommes dans la littérature jeunesse contemporaine ? ♦ Dimanche 13 décembre : Les stages anti-Musclor : apprendre à être un homme autrement et Virilité et imagerie fasciste