
Publié en 2009, Journalistes à la niche ? De Pompidou à Sarkozy, de Bruno Masure [1] se présente comme une « Chronique des liaisons dangereuses entre médias et politiques ». Nous profitons de la période estivale pour publier (enfin !) une lecture critique de cet ouvrage : que peut-on en retenir quand on l’a lu, mais inégalement approuvé ?
I. Un livre d’anecdotes
Quelques mots sur l’auteur. Journaliste politique de 1973 à 1975 sur RMC, puis TF1, suiveur de Mitterrand de 1977 à 1984, Bruno Masure est surtout connu pour avoir présenté les journaux télévisés sur TF1 de 1984 à 1990, puis sur Antenne 2 et France 2 de 1990 à 1997. Il est ensuite devenu chroniqueur dans l’émission « Vivement dimanche », de 1999 à 2003 puis sur France Inter dans l’émission « Le Fou du roi » de 2005 à 2011 [2].
Acteur parois rétif, mais longtemps complaisant en dépit de ses réticences, d’un « système » dont il a été l’un des bénéficiaires, Bruno Masure a cultivé publiquement une image d’indépendance, fondée sur les plaisanteries dont il émaillait sa présentation des Journaux télévisés : un humour que l’on se gardera bien d’évaluer ici, mais qui introduisait une certaine distance avec les jeux de la solennité affichée et de la séduction aguicheuse. (...)
La préface de l’ouvrage promet beaucoup. Extrait :
Gentils caniches ou vilains roquets, voire méchants pitbulls. Quelques – trop – rares journalistes, refusant de jouer les chiens de garde du système, n’hésitent pas à grogner, montrer les crocs, voire à se cramponner aux mollets et mordre jusqu’au sang… D’autant plus dangereux qu’ils chassent en meute !
La plupart, chiens perdus dès qu’on leur enlève le collier, accourent quand on les siffle, et viennent se coucher. Au pied ! De criante de trouver en fourrière pour longtemps. Gentils toutous, de la race des corniauds ! Changent de maîtres dès que leur flaire leur indique qu’ailleurs, la gamelle est meilleure… Oubliant vite les humiliations et la muselière, léchant la main qui a frappé. Pourquoi nous surnomme-t-on les « baveux » ? (p. 11)
Le lecteur, par ces déclarations alléché, risque pourtant d’être quelque peu déçu, par ce « livre-témoignage », ainsi que l’auteur le nomme. En précisant ceci : « Ce livre n’est pas un traité de sociologie médiatico-politiques, mais un kaléidoscope de souvenirs, forcément subjectif. » (p. 472) C’est en vérité une collection de notes prises entre 1973 et 2003 (et partiellement actualisées) ; des comptes rendus d’activité, généralement anecdotiques, dont la lecture est souvent fastidieuse.
Une lecture généreuse permet pourtant de relever quelques symptômes des maladies du journalisme politique. On laissera de côté les évaluations, ironiques ou acerbes, sur les « chers collègues » et sur les jeux de pouvoir au sein et autour des chaines de télévision.
II. Des rituels républicains
Qu’on n’attende pas de cet ouvrage une critique en règle des pratiques journalistiques, particulièrement à la télévision. On relève parfois, au fil des jours et des notes qui leurs sont consacrés, des remarques diverses, par exemple sur les remplissages d’antennes (p. 187-188) ou les « directs » totalement stériles (p. 340-341), pour ne rien dire des micros-trottoirs. Plus intéressant : parmi les pratiques journalistiques dont Bruno Masure amorce la critique, figurent toutes celles qui témoignent de la subordination du journalisme politique aux institutions et aux responsables politiques. (...)
Les hauts-gradés du journalisme (journalistes politiques et présentateurs de télévisions surtout) appartiennent à la même « caste », affirme Bruno Masure, que les haut-gradés de la politique (ministres et parlementaires notamment), comme l’auteur le souligne, dans la postface :
Nous naviguons entre révérence et connivence : c’est si flatteur de recevoir les confidences du monarque, d’entrer dans son intimité familiale, d’être dans les palais nationaux – presque comme chez soi, d’y avoir son rond de serviette. De tutoyer ou être tutoyé par les princes qui nous gouvernent. De s’en faire parfois des amis. Nous vivons dans la même bulle, sortons des mêmes écoles, fréquentons les mêmes restaurants, partageons les mêmes – pas moi ! – les mêmes lits. Bref, nous formons la même caste. » (p. 472)
Et Bruno Masure de multiplier les exemples de partages mondains et intimes dont se distingue à peine des rencontres où se recueillent des confidences politiques et politiciennes. (...)
Finalement, cet épais carnet de bord de 474 pages livre quelques aperçus sur l’exercice de leurs métiers par les « stars » de la présentation des JT et du journalisme politique. Mais il témoigne du même coup des limites de leur critique par l’une de ces « stars », désormais dissidente. Dissidente sans doute, mais pas au point de joindre sa voix à celle de notre critique.