
Les équipes de direction des établissements reçoivent régulièrement des instructions pour "lutter contre le jihadisme", détecter des signaux de radicalisation, signaler des élèves aux comportements préoccupants… Daesh et la peur des attentats dans les écoles ont envahi l’ensemble de la réflexion du moment sur le sujet.
Bien sûr l’école est un rempart contre la barbarie, bien sûr le sujet est important, bien sûr l’heure est grave. Mais justement… ne sommes nous pas en train de nous tromper de stratégie ?
Car enfin, qu’est-ce que le jihadisme pour les lycéens ? Leur a-t-on demandé d’ailleurs ? La jeunesse révoltée qui casse et veut changer la société par la violence est un modèle français souvent éprouvé, de 68 au CIP. Et nos dispositifs curatifs ne sont ils pas l’aveu de notre échec à endiguer la "démarche romantique" de la "révolte", du "changement de monde", de "reprise en main de son propre rôle" que pourrait représenter le jihad dans la tête d’un adolescent ? Une part conséquente de convertis récents n’a jamais eu de lien avec ce coin du monde et ne pratiquait aucune religion… les premiers temps de la radicalisation ne relèvent donc peut-être pas (exclusivement) de la religion.
Les salauds de Daesh ont trouvé une de nos "failles intellectuelles" : si l’on critique le jihadisme exclusivement, alors on stigmatise le "croyant" et l’on s’engage sur le domaine mal maîtrisé par les enseignants de la conviction religieuse (et l’on rompt potentiellement avec le principe de laïcité). Je ne confonds pas, pour ma part, l’élève musulman pratiquant et le jihadiste, mais le raccourci est vite fait dans les cours de lycées et sur les réseaux sociaux.
Et si la France ne clarifie pas sa position en Syrie, les personnes en charge du recrutement de combattants ont de beaux jours devant eux auprès des jeunes. A-t’on ainsi répondu clairement à la question suivante : lorsque le conflit a débuté en Syrie, qui s’était dressé face à Bashar : les nobles résistants d’un peuple épris légitimement de liberté, proches de la vertu des résistants français ? Les jeunes qui sont partis à l’époque étaient-ils de valeureux démocrates qui rejoignaient la Syrie comme certains ont rejoint l’Espagne à une époque ? Et qui sont ceux qui combattent aujourd’hui à Alep, dont la population n’ose fuir de peur de se faire massacrer par les troupes d’un Président en passe d’être victorieux. Sont-ils issus du foyer originel de contestation d’un pouvoir, ou les combattants sanguinaires d’un état religieux auto-proclamé ? Le terme de "rebelles" est désormais employé par les médias français, quelle est la signification de ce vocabulaire nouveau ?
Quant à notre réponse dans les écoles… ne devrions nous pas nous interroger sur la façon de prévenir plus globalement les radicalisations à l’âge ou les adolescents deviennent des citoyens votants ? de s’interroger et de les interroger sur ce qui fait société, face à l’individualisme d’objet avec lequel ils sont nés ? L’attrait du FN auprès des jeunes et son cortège d’insultes et de violences racistes, xénophobes, antisémites et sexistes, les signaux communautaristes de rattachement à un mouvement musical ou de plébiscite de la consommation de substances illicites , la violence scolaire, … ne sont ils pas les signes d’un problème global de tensions au sein de la société, de l’école,… de radicalisations ?
Le Parcours Citoyen, encouragé par notre Ministère, peut (doit ?) embrasser la question de la lutte contre l’extrémisme religieux, mais je crois qu’il serait préférable de ré-affirmer une culture humaniste, de souligner l’apport de "l’étranger" dans l’histoire , et de porter clairement un discours pacifiste et antimilitariste. Mais que faire alors de la JDC, et des militaires qui viennent en nombre participer aux portes-ouvertes pour recruter les élèves ? Ceux-là même qui protègent les établissements, au risque de leurs vies.
Prévenir toutes les radicalisations, par le rappel d’un cadre républicain bienveillant mais ferme, sans stigmatiser une religion, un groupe d’individus, est un exercice difficile. Nous avons un beau métier, et construisons pour partie la jeunesse de demain. Mais le problème est complexe, et il ne faut pas ignorer les ressorts à l’œuvre dans la tête de nos adolescents pour qu’ils en arrivent à se laisser séduire par des manipulations si grossières : convoquer la psychologie de l’adolescent sur ce sujet ne serait pas inutile.