
Parler des Mineurs Non Accompagnés, c’est d’emblée investir un champ encadré par des définitions construites par le législateur et l’Etat, mais aussi se confronter à un sujet traversé par de multitudes références psychiques, sociales, anthropologiques. MNA, ce sont dans les faits des jeunes étrangers reconnus mineurs par l’Etat français, et pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance.
De multiples catégories de ces jeunes ont été construites sociologiquement, mais je voudrais en parler à partir de ceux que je rencontre dans la consultation transculturelle du CHU de Bordeaux, par les soins psychiques prodigués.
Le soin psychique n’est pas un luxe, un petit truc en plus : il demeure essentiel comme étant l’un des rouages du cadre d’accueil constitué d’une équipe, d’une institution, d’un réseau de professionnels, et donc des représentants d’un pays.
En effet, pour cette population, le soin psychique ne peut s’isoler de tout le contexte politique, culturel et social et c’est l’une de nos spécificités (l’équipe transculturelle) que de les articuler, non point pour faire des généralités, mais pour saisir au contraire le travail psychique considérable et singulier que doit faire un jeune, en prise avec des obstacles, de l’hostilité, des contraintes.
Cependant, au fil des années, notre équipe constate qu’ils génèrent un élan de solidarité, des pratiques professionnelles animées d’un fort désir. Voici l’enjeu compliqué pour nous tous, leur montrer notre désir de les accompagner et donc parfois tordre le cou à nos références professionnelles qui prôneraient une tiédeur ou une neutralité qui prendraient le risque d’être comprises comme de l’indifférence et du rejet. En effet, si le jeune est non-accompagné par sa famille, il est accompagné par des professionnels, des volontaires, des bénévoles dont les figures vont devenir les familiers du jeune. (...)
L’un des revers de ce traitement organisé par des passeurs criminels est le fait de mettre les jeunes dans des circuits qu’ils n’auraient jamais choisis s’ils en avaient eu le choix. Ceci est important, car l’appréhension du projet à construire ne sera pas le même pour un jeune qui est enfin arrivé et pour un autre qui est devenu un objet.
L’on sait ainsi que le trajet migratoire est devenu très dangereux, et que l’errance en Europe menace les exilés en général et plus particulièrement les jeunes. (...)
L’errance des jeunes doit prendre fin au sein de nos dispositifs, grâce à leur accueil, leur capacité à créer des liens reconnaissants, reconstructeurs et humanisants.
Sur le plan social, cela me semble indispensable, sinon, nous créons les conditions de la fabrication d’une bombe à retardement : l’on sait pour d’autres situations ce que génèrent l’humiliation, le désespoir qui sont le terreau de la violence, de la revanche et de la révolte. (...)
Il ne faut pas oublier comment le trajet va remanier les décisions de départ : désespoir et humiliations, contraintes et violence des passeurs, rencontres positives comme négatives vont forger chez le jeune de nouvelles aspirations ou au contraire des rejets définitifs. (...)
Kantra a rencontré des personnes très bienveillantes, mais des circulaires, des règlements intérieurs, bref c’est ce qu’on appelle « la banalité du mal ».
Et le couperet du refus de l’ASE de continuer à le prendre sous sa protection, a l’effet d’une attaque en sorcellerie : Kantra est sûr que l’on veut sa mort et se suicide comme pour donner raison à la sorcellerie qui n’épargne pas.
La violence institutionnelle est rarement le fait d’une discrimination ouverte mais plutôt l’accumulation de petits gestes qui s’accumulent en grande violence… (...)
Le professionnel a lui aussi tout un travail intérieur à faire entre son propre désir d’hospitalité et les contraintes d’appliquer les lois de l’inhospitalité, de trouver les petits arrangements, d’être dans une position pas trop prêt, pas trop loin, pour ne pas trop souffrir mais aider, être dans l’échange. C’est le sel de notre travail… et s’occuper des étrangers c’est souvent renouveler nos pratiques.
Alors faisons des jeunes étrangers, des graines de héros, qui nous aident à préparer demain et qui fortifient nos positions ! (...)