
Le gratin des commentateurs politiques la scrutait depuis longtemps : l’officialisation de la candidature d’Emmanuel Macron est intervenue au soir du 3 mars, à travers l’annonce d’une « lettre aux Français » publiée le lendemain dans la presse quotidienne régionale (PQR). Qu’elle ait été ou non mise à la Une, qu’elle ait été ou non publiée in extenso ne change rien au problème central : la porosité – pour ne pas dire plus – entre journalisme et communication, qui aboutit à la co-fabrication d’un « événement » devenant dès lors indissociablement politique et… médiatique. Les rédactions parlent d’un texte tout en « sobriété » ? Elles en ont fait un cirque.
Certaines rédactions ont choisi de ne pas publier le texte in extenso pour pouvoir le « commenter », revendiquant un acte de quasi insoumission ou d’intransigeance déontologique, faisant valoir, à l’instar de La Voix du Nord, un traitement équitable vis-à-vis des autres candidats. Ainsi, si l’on en croit la démarche que s’impose la rédaction, l’annonce d’Emmanuel Macron aurait dû être « analysé[e], disséqué[e], avant d’atterrir dans [ses] pages ». Dans les faits, ça donne ça : (...)
Un titre tout en sobriété, un QR code permettant de retrouver l’intégralité de la missive sur le site (nuance…) de La Voix du Nord, et une « dissection » journalistique à faire trembler l’Élysée. Extrait (...)
L’occasion de rappeler aux journalistes politiques qu’épouser le récit présidentiel en insérant des citations ne fait pas une analyse, encore moins distanciée… mais un travail de communicant.
Et de quotidien en quotidien, c’est du pareil au même, certains lésinant encore moins que d’autres sur la mise en scène, alliant l’art de la titraille à la passion photo. (...)
Propagandistes à souhait, les titres se prolongent dans les « décryptages », éditos et interviews associés en double page. (...)
La boucle est bouclée lorsque les commentateurs saluent le choix du Président de convoquer pour l’occasion la presse locale, entérinant de fait son rôle de passe-plat. (...)
Mais ce serait une facilité de croire que c’est dans la PQR que l’on touche nécessairement le fond. Ce serait faire peu de cas de la presse nationale, où nous avons trouvé « la perle » de cette séquence. Un chef d’œuvre de L’Opinion, niché dans une double page consacrée à la candidature d’Emmanuel Macron et titré « Un maître des horloges à l’épreuve du temps ». L’angle de l’article ? « Vieillit-on plus vite à la tête d’un État qu’en étant employé de bureau, agriculteur, routier, journaliste ? » Ceux qui auraient le mauvais esprit de trouver la question indécente n’en apprécieront que davantage la réponse de la journaliste, dont la prose mérite d’être longuement citée : « Indubitablement, les Français ont remarqué ces dernières semaines chez l’hôte de l’Élysée les signes du temps qui passe. » Et la journaliste a recoupé ses sources : (...)
Donnée, précise la journaliste, « à prendre avec des pincettes ». On n’était plus à ça près… (...)
Moins caricatural, Le Monde mérite toutefois la conclusion. Pour Alexandre Lemarié et Olivier Faye, « en charge du suivi de l’exécutif » et bien connus d’Acrimed, c’est la routine : verbaliser la stratégie du Président, quitte à se confondre, comme partout ailleurs, avec le candidat et ses communicants eux-mêmes. (...)
« Globalement, je crois que je ne vais pas me plaindre de vous » lançait Édouard Balladur à la presse le 10 janvier 1995. Des mots qu’Emmanuel Macron pourrait sans mal reprendre à son compte vingt-sept ans plus tard. Le Président veut un coup de comm’ partout dans la PQR ? La PQR le lui offre sur un plateau... et la presse nationale emboîte le pas ! Dominé par la communication, le journalisme politique largue les amarres et les professionnels jouent, à peu de chose près, la même petite musique propagandiste, campant Emmanuel Macron dans une posture de chef de guerre paternaliste, quasiment réélu. Vous avez dit « quatrième pouvoir » ?