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Macron contre le journalisme
Article mis en ligne le 15 novembre 2019
dernière modification le 14 novembre 2019

La violence sociale et économique infligée à l’ensemble de la société par le gouvernement Macron depuis le début de son quinquennat n’épargne pas le journalisme. S’accumulent ainsi les attaques contre la liberté d’informer, visant à entraver juridiquement le travail des journalistes, à les intimider judiciairement, voire physiquement, et au besoin à censurer.

Depuis l’élection d’Emmanuel Macron en mai 2017, les attaques du gouvernement contre les médias touchent toute la chaîne de production de l’information. Elles se manifestent, tout d’abord, dans des projets de loi et des textes législatifs, dont les deux piliers sont la loi dite du « secret des affaires » et la loi « fake news ».

Elles prennent aussi la forme de saignées budgétaires, « baisses de dotations » infligées à l’audiovisuel public, qui assèchent un peu plus sa capacité de produire une information de qualité [1]. Elles s’incarnent encore dans des plaintes gouvernementales, ciblant des articles de presse jugés embarrassants pour l’État et ses affaires politico-économiques, ou dans les convocations de journalistes par l’appareil d’État.

Elles s’exercent également dans les violences policières à l’encontre des journalistes, visés en tant que tels, entravés sciemment dans l’exercice de leur métier, en particulier durant les mois de mobilisations des gilets jaunes, mais également au cours des manifestations « anti-G7 », en août 2019. Des violences dont l’ampleur a été jugée « inédite » par Reporters sans frontières en mai 2019.

Enfin, ces attaques se traduisent dans un certain nombre de déclarations et d’anathèmes publics qui, du fait de leur fréquence, créent une petite musique témoignant d’un mépris profond pour la profession, autant que d’un rapport pour le moins contrarié à la critique, adossé à une violence, verbale cette fois-ci, parfaitement assumée (...)

Des lois liberticides : du « secret des affaires »…

Dix mois. C’est le temps qu’il aura fallu au gouvernement Macron pour déclencher une première vague d’indignation dans le secteur des médias, après avoir mis à l’agenda de l’Assemblée nationale la loi relative à la protection du secret des affaires. Cette dernière fut promulguée le 30 juillet 2018, malgré la mobilisation de plus d’une centaine de syndicats de journalistes, sociétés de rédacteurs, organes de presse, collectifs et ONG, dans le cadre notamment du collectif « Informer n’est pas un délit » et de la pétition « Stop secret des affaires », qui a recueilli plus d’un demi-million de signatures. (...)

… À la prétendue loi contre les « fake news »

Au même moment s’abat un deuxième coup de massue. En novembre 2018, le Parlement vote la « loi contre la manipulation de l’information » en période électorale, dite loi contre les « fake news », annoncée par Emmanuel Macron dès janvier de la même année, et à nouveau très décriée par les journalistes et de nombreuses associations, comme La Quadrature du Net. Tous dénoncent le caractère flou et bancal des définitions que donne la loi aux « fausses nouvelles ». Les critiques pointent également l’hypocrisie que représente la restriction de son champ d’application, cantonné aux trois mois précédant un scrutin national. Ainsi la période du « grand débat », que d’aucuns ont assimilé à une campagne électorale déguisée, seulement quelques mois avant les élections européennes, n’est-elle pas concernée… (...)

Moins d’un an plus tard, en juin 2019, Nicole Belloubet et le secrétaire d’État au Numérique Cédric O lancent deux nouveaux pavés dans la mare médiatique. Dans une interview au JDD (15 juin 2019), la ministre de la Justice profite de l’examen de la proposition de loi « visant à lutter contre les contenus haineux sur internet » pour annoncer vouloir retirer l’injure et la diffamation de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Prétendant également s’engager d’arrache-pied contre la « cyberhaine », Cédric O plaide quant à lui pour la création d’un « Conseil de l’ordre » des journalistes, « invités » à prendre leur part dans la lutte contre les fausses nouvelles, faute de quoi… « ce sera l’État qui le fera, au bout du bout ». (...)

Face au tollé provoqué par chacune de leurs déclarations, Nicole Belloubet et Cédric O ont tour à tour rétropédalé avant que leurs annonces soient définitivement classées sans suite par Édouard Philippe le 17 juillet [6].

Porter atteinte au cadre juridique qui régit la production de l’information et ses auteurs

Ces propositions législatives, jugées « liberticides » par une grande partie des professionnels des médias et du droit de la presse, en disent long sur la conception de l’information portée par le gouvernement actuel et sa majorité. Le climat est d’autant plus inquiétant que se dégage, en filigrane, une cohérence entre les différentes réformes : celle de porter atteinte au cadre juridique qui régit la production de l’information et ses auteurs. (...)

Plaintes et convocations : LREM, ou la passion des « poursuites-bâillons » ?

Cet ensemble de postures, de pratiques et de lois portées par l’actuel gouvernement a été parfaitement synthétisé par sa porte-parole, Sibeth Ndiaye, qui affirmait le 23 mai : « Les journalistes sont des justiciables comme les autres ». Une déclaration qui se voulait une réaction à la convocation de neuf d’entre eux par la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI). (...)

Violences policières contre les journalistes

L’ultime – mais non des moindres – volet des attaques du gouvernement actuel contre la liberté d’informer concerne les violences policières à l’encontre des journalistes. Symptôme des temps (morbides) : en juin 2019, le SNJ édite aux côtés de l’Association de la presse judiciaire (APJ)… un « Guide de défense du journaliste ». Les deux organisations rappellent les droits, les recours et les protections dont jouissent « toutes celles et ceux qui se trouvent confronté(e)s à des intrusions policières et judiciaires dans le cadre de l’exercice de leur profession ».

Une publication qui intervient après des mois de répression (...)

en mai 2019, Reporters sans frontières dresse un bilan accablant de ces violences, jugeant les chiffres « inédits par leur ampleur » : au moins 54 journalistes ont été blessés, dont 12 sérieusement, par les forces de l’ordre au cours de 120 incidents répertoriés. Les principales victimes sont des photographes (66 %) et des vidéastes ou journalistes reporters d’images (21 %). (...)

Les attaques du pouvoir politique contre la liberté d’informer et les journalistes ne sont certes pas nouvelles en France. Du fait de leur caractère systématique et protéiforme, elles atteignent cependant sous le règne d’Emmanuel Macron des proportions inédites, témoignant d’un autoritarisme dont tous les tenants de la liberté de la presse devraient s’inquiéter… Plus insidieuses que les censures d’antan au visage de carrés blancs dans les colonnes des journaux, les pressions actuellement exercées par les pouvoirs politiques et économiques créent partout les conditions d’une mise au pas de l’information (...)

Le penseur et militant italien Antonio Gramsci expliquait que l’exercice du pouvoir repose sur la recherche d’un équilibre entre coercition et consentement, ce dernier étant obtenu notamment par l’intermédiaire des structures de la « société civile », dont les médias. La multiplication des attaques contre les journalistes et la liberté de la presse, venues d’un pouvoir à la légitimité considérablement érodée mais déterminé à poursuivre ses « réformes », ne sont pas, en ce sens, des accidents de parcours, mais bien l’une des expressions d’un déplacement du point d’équilibre entre usage de la coercition et recherche du consentement, qui n’est pas prêt de se freiner.

Dans un tel contexte, et bien que les protestations se fassent de plus en plus nombreuses de la part de la profession, la contestation ne semble pas encore à la hauteur des enjeux. (...)