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Macron, néolibéral illibéral
Eric Fassin, sociologue 11 sept. 2017
Article mis en ligne le 24 avril 2019
dernière modification le 22 avril 2019

En 1989, la chute du Mur de Berlin était censée marquer, sinon la fin de l’histoire, du moins le triomphe d’une société ouverte. Le marché libre n’était-il pas la garantie des libertés démocratiques ? Moins d’État, telle était la double leçon tirée de l’échec de ces régimes autoritaires : et le laisser-faire, et les droits humains. Après la Guerre froide, le libéralisme se voulait donc à la fois économique et politique.

Or qu’en est-il aujourd’hui ? Loin de se retirer de la scène économique, l’État en est plus que jamais un acteur essentiel. Au lieu de laisser faire, il intervient sans cesse – pour sauver les banques, aider les entreprises et redistribuer la richesse… au bénéfice des riches. Pour le distinguer du libéralisme économique, on qualifie cet avatar du capitalisme de néolibéral.

Le néolibéralisme est-il libéral politiquement, à défaut de l’être économiquement ? On a pu le croire quand les partis sociaux-démocrates s’y sont convertis dans les années 1990. Les premiers ministres anglais Tony Blair puis espagnol José Luis Zapatero ont d’abord revendiqué une forme de modernité, économique mais aussi politique : l’emblème en était leur ouverture proprement libérale en matière d’immigration et pour les droits sexuels.

Depuis, « l’Europe forteresse » est certes devenue l’autre face d’une Union néolibérale. La chancelière allemande n’en a pas moins démontré en 2015 que l’intransigeance économique, dont la Grèce faisait les frais, ne condamnait pas nécessairement à l’abandon des droits humains. Surtout, sa politique d’accueil des réfugiés était menée non pas en dépit mais au nom de la rationalité économique, l’intérêt bien compris rendant la générosité possible en même temps que nécessaire.

En se démarquant d’un Manuel Valls pour célébrer le courage politique d’Angela Merkel, Emmanuel Macron avait inscrit sa campagne dans cette filiation d’un néolibéralisme libéral. Or, depuis son élection, c’en est fini du libéralisme politique. Il n’est pas question de réduire le pouvoir souverain pour accroître les libertés. Du Louvre à Versailles, le nouveau président endosse l’habit monarchique de la Cinquième République, et pare l’orléanisme bourgeois d’un Guizot des atours majestueux du Roi-Soleil. L’État, c’est lui.

Parvenu à la présidence sans jamais se lier à un parti, Emmanuel Macron revendique haut et fort un pouvoir personnel dont les parlementaires seraient les simples exécutants. (...)

Pourquoi le candidat libéral s’est-il métamorphosé, dès son élection, en un président illibéral ? Comme ses prédécesseurs, il a pour priorité de faire passer, coûte que coûte, des réformes néolibérales. D’un côté, la gestion répressive des banlieues, comme en écho à celle des migrants, vise à distraire les électeurs en leur jetant en pâture des victimes expiatoires : à défaut de pain, des « jeux ». De l’autre, toute opposition extra-parlementaire sera présentée comme une menace à l’ordre public. Gageons que, si la contestation reprend demain dans la rue, elle sera qualifiée d’antidémocratique : le président n’a-t-il pas été élu démocratiquement (et qu’importe la manière) ? Dès lors, le ton policé d’Emmanuel Macron ne parviendra plus à masquer son fond policier : la matraque dira la vérité du régime.

Ce revirement illibéral est un choix stratégique. (...)

face au néolibéralisme illibéral du président et de la droite, mais aussi à l’antilibéralisme tant économique que politique professé par le Front national, articuler la critique du néolibéralisme économique à la défense des droits et des libertés devrait être le créneau de la gauche, et son programme.