
Sous prétexte d’accroître la « mobilité interne » au ministère des affaires étrangères, la réforme prévue par Emmanuel Macron permettra d’offrir des postes d’ambassadeur à des amis politiques ou des cadres du monde des affaires qui ont rendu des services. Tout en réglant son compte à un corps diplomatique que l’Élysée déteste.
Sous prétexte d’accroître la « mobilité interne » au ministère des affaires étrangères, la réforme prévue par Emmanuel Macron permettra d’offrir des postes d’ambassadeur à des amis politiques ou des cadres du monde des affaires qui ont rendu des services. Tout en réglant son compte à un corps diplomatique que l’Élysée déteste. (...)
Que le ministère des affaires étrangères change de titulaire ou non dans les jours qui viennent, celui ou celle qui se retrouvera à la tête de la diplomatie française doit s’attendre à affronter, en plus de l’effroyable conflit ukrainien, une situation de fronde interne comme le Quai d’Orsay en a très peu connu dans son histoire.
Depuis que le Journal officiel du 17 avril a publié les décrets d’application de la réforme de la fonction publique qui ordonne « l’extinction » du corps des ministres plénipotentiaires et de celui des conseillers des affaires étrangères, une colère discrète mais réelle secoue le ministère et la plupart des postes diplomatiques français à travers le monde.
Comme il se doit dans une administration peu habituée aux éclats de voix, il s’agit d’une révolte à bas bruit mais elle n’en a pas moins plongé « le Quai » dans une atmosphère de doute, de contestation, et d’inquiétude que le nouveau ou la nouvelle ministre aura du mal à dissiper. (...)
Le diplomate : « bureaucrate, médiateur et héros »
À partir du 1er janvier 2023, tous ces hauts fonctionnaires rejoindront progressivement, dans des conditions qui restent à préciser, le nouveau « corps des administrateurs de l’État », lequel rassemblera tous les cadres administratifs formés jusque-là par l’ENA, elle aussi condamnée à « l’extinction » et remplacée désormais, comme le confirme la plaque posée à Strasbourg sur ses locaux de la rue Sainte-Marguerite, par le nouvel Institut national de la fonction publique (INFP).
Ils y seront mêlés aux préfets, sous-préfets, inspecteurs des finances et autres administrateurs civils à vocation interministérielle qui pourront demain, comme le souhaite le président, passer d’un ministère à l’autre, ou du secteur privé à l’administration, et vice-versa.
À l’initiative de Jean-Yves Le Drian, qui n’était pas favorable à cette réforme et ne l’avait pas caché au sein de son ministère, sans pouvoir (ou vouloir ?) l’entraver pour autant, le concours d’Orient ouvrant l’accès chaque année à une poignée de postes sera maintenu et restera organisé par le Quai d’Orsay. Aux dernières nouvelles, le ministre des affaires étrangères conserverait la possibilité de proposer des nominations d’ambassadeurs, qui seraient formalisées par l’Élysée, et conserverait aussi la gestion des carrières. (...)
Mais les diplomates en fonction se demandent comment – et par qui – sera choisi le « super DRH interministériel » qui aura pour tâche demain de gérer les flux et d’aiguiller les « ressources » vers tel ou tel ministère. Et en fonction de quels critères ces choix seront faits.
« La France sera donc le seul grand pays occidental sans diplomates professionnels. Une histoire de plusieurs siècles s’achève ainsi. La porte est désormais ouverte aux nominations à l’américaine », écrit dans un de ses tweets l’ancien représentant permanent de la France à l’ONU, puis ambassadeur aux États-Unis, Gérard Araud, relayé sur ce point par l’actuel ambassadeur de France en Ukraine, Étienne de Poncins.
« En se proposant de fondre les métiers d’encadrement de la fonction publique en un seul corps des administrateurs de l’État, le gouvernement met en péril des savoir-faire et des talents qui font la richesse du service de notre pays », écrivent dans une tribune publiée par Le Monde une cinquantaine de diplomates et de fonctionnaires du Quai d’Orsay anonymes qui ont choisi la signature collective du « Groupe Théophile Delcassé », du nom d’un ministre des affaires étrangères du XXe siècle, artisan de l’Entente cordiale, pour dénoncer les dangers de cette réforme. (...)
Mauvais rapports avec le Quai
« Soyons sérieux, explique un ambassadeur actuellement en poste à l’étranger et qui a lui-même appartenu à trois administrations différentes. Ce n’est évidemment pas seulement pour instaurer une mobilité interministérielle déjà existante que cette réforme a été imposée. Elle révèle avant tout les mauvais rapports entre l’Élysée et le Quai d’Orsay, qui ne sont pas récents, et entend favoriser, en matière de recrutement, une concurrence libre et entière, avec un recours a priori sans limites au secteur privé. Dans son essence, il faut le dire, cette réforme a un caractère clairement libéral. Au sens du libéralisme économique. »
« Avec deux risques, précise-t-il : celui de voir débarquer demain dans une ambassade un cadre d’Unilever ou un haut fonctionnaire des affaires sociales. C’est-à-dire de perdre les compétences liées au métier. Et celui du “spoil system” à la française, avec distribution des postes aux amis politiques, aux financiers des campagnes électorales, et échanges de bons procédés entre le privé et le public. » (...)
Règlement de comptes
Pour nombre de diplomates interrogés, il y a aussi une part de règlement de comptes dans l’offensive d’Emmanuel Macron contre les deux corps majeurs du ministère des affaires étrangères. (...)
Le troisième réseau diplomatique du monde est en péril (...)
Est-ce donc aussi pour limiter le pouvoir d’un corps diplomatique sans indulgence pour ses choix, ses méthodes, ses maladresses et ses échecs sur la scène internationale qu’Emmanuel Macron – qui ne nous a pas habitués à des excès de lucidité et de modestie – veut aujourd’hui le condamner à l’« extinction » ? Et verser ses membres – les diluer ? – dans un vivier d’« administrateurs de l’État » interchangeables, issus d’autres ministères, du monde politique, du vaste cercle de ses amis et obligés et du milieu des affaires ? (...)
Que restera-t-il demain de ce dispositif fragilisé, de son potentiel d’action et d’influence internationale, si Emmanuel Macron poursuit la mise en place de sa réforme ?