
Ils animent un lieu collectif. Font vivre des médias libres. Mettent la main à la pâte militante. Et vivent, ou survivent, grâce aux minima sociaux ou aux Assedics. Proches de CQFD ou participant au journal, ils appartiennent de fait à cette frange contestataire à laquelle pensait Macron en fustigeant les « fainéants et extrêmes ». Des fainéants, eux ? Tout le contraire, bordel.
Impossible à quantifier. Mais une certitude : dans la sphère militante et radicale (et aussi chez les personnes gravitant autour du journal que vous tenez entre les mains), nombreux sont ceux qui se reposent, plus ou moins occasionnellement, sur les minima sociaux ou les Assedics. Mais pas pour glander. Au contraire, les maigres subsides de l’État leur permettent de bosser dur de façon désintéressée. De se battre pour ce à quoi ils croient, sans trop se soucier des contingences matérielles. De travailler à établir du commun. Et de commencer à construire ce qui les anime.
Difficile de s’investir à plein dans ce milieu, celui des squats et des lieux libertaires, de l’édition critique et de la presse pas pareille, en exerçant un taf classique. Question d’emploi du temps – si ce n’est de cohérence. Il faut donc se débrouiller, jongler avec les versements de la Caf, la débrouille (squat, vol, récup’), les occasionnels boulots au black, les éphémères périodes salariées. En somme, toujours penser à l’argent, alors même que l’ambition originelle était de combattre son emprise.
En Macronie, l’utilité d’un être humain se réduit à ce qu’il produit d’économiquement quantifiable. Ceux qui ne veulent s’y réduire, qui passent des mois à rédiger des ouvrages critiques plus ou moins confidentiels, qui consacrent leurs journées à animer des collectifs de lutte, qui font vivre des lieux où règnent le prix libre et les belles idées, ceux-là sont censément des fainéants. Ce scandale.
Choix de vie
« Moi, fainéante ? Trop pas ! En vrai, je carbure à donf, je me lève tôt chaque matin et je n’arrête pas ! » Et c’est vrai qu’elle fait plein de choses, Lise, trentenaire à couettes qui vit au fond de l’Ariège. Passionnée de photo, elle participe aussi à un lieu collectif, un hangar squatté dans l’Aude. Réalise la maquette d’un journal de contre-information locale dans le Sud-Ouest. Étudie les plantes médicinales. Et travaille à la réalisation d’un alambic ambulant avec lequel elle aidera les gens à produire leur alcool. Tout ça bénévolement. Et pour vivre ? 545 € de RSA, 120 € d’APL et la débrouille. « Je touche le RSA depuis 2011. Mais depuis peu, c’est compliqué : on m’a imposé des Contrats d’engagement réciproque. Si je ne satisfais pas à certaines conditions de recherche d’emploi, je perds le RSA. »
Lise le sait, elle finira par perdre le RSA. Elle raconte d’ailleurs qu’un de ses amis allocataires a sympathisé – ça arrive – avec sa contrôleuse. Celle-ci lui a expliqué qu’elle devait classer les bénéficiaires en trois catégories : ceux qui veulent bosser, orientés vers Pôle emploi ; ceux jugés inadaptés au travail, renvoyés vers une assistante sociale ; et ceux qui ont fait du RSA un choix de vie. Ce sont surtout ces derniers qui se retrouvent dans le viseur. Pan ! (...)