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Mais qui paiera le coût de cette crise ?
Shahin Economiste, spécialiste des questions européennes
Article mis en ligne le 14 mai 2020

Voilà plusieurs semaines que les milliards, les plans de sauvetage et de relance s’accumulent. Nous sommes passés d’un discours dominant dans lequel « il n’y a pas d’argent magique » à une débauche de moyens qui laisse perplexe. Ainsi – et on le comprend – beaucoup se tournent inquiets vers les économistes pour demander comment cela est possible mais surtout qui va payer pour toute cette dette ?

Dans un premier temps, il est important de comprendre comment et dans quelles proportions la dette publique va augmenter. Trois forces sont à l’œuvre :

1) La dette publique augmente parce que nous sommes de fait en train de nationaliser une grande partie des dettes privées. Avec les mécanismes de chômage partiel, nous nationalisons le paiement des salaires de nombreux employés. Avec les reports et abandons de charges, les prêts aux entreprises, les garanties, les plans de sauvetage, ce sont une grande partie des dettes des entreprises qui sont en train de devenir des dettes publiques.

2) Ensuite, pour redémarrer une économie mise en hibernation pendant de longues semaines ou de longs mois, un effort d’investissement de reconstruction de tout notre tissu économique et des services publics sera nécessaire. Ces efforts sont pour le moment durs à chiffrer mais ils seront vraisemblablement massifs.

3) Enfin, la richesse que nous produisons chaque année – le PIB – sera mécaniquement et durablement plus faible, ce qui va rendre la question de la dette d’autant plus importante que notre capacité économique à la rembourser sera plus faible.

Notre dette va donc augmenter au moins d’une vingtaine de points de PIB à cause de la crise du COVID. C’est au moins autant que pendant la crise de 2008-2012. Or il n’y a que 3 solutions pour faire face à un tel niveau de dette et chacune de ces solutions aura des impacts économiques et sociaux profondément différents : (i) la restructuration ou le défaut qui permet de fait d’annuler la dette que l’on doit, (ii) les économies ou l’austérité qui, par la baisse des dépenses ou l’augmentation des impôts, permet de rembourser et enfin (iii) le financement de la dette par la Banque Centrale, autrement appelé monétisation ou financement monétaire qui permet normalement de créer de l’inflation et de réduire ainsi le poids de la dette par rapport à la richesse nationale. (...)

A l’issue de la première guerre mondiale, lors du Traité de Versailles, la France a imposé des réparations et une dette immense à l’Allemagne. John Maynard Keynes a conclu dès 1919 dans son célèbre ouvrage « Les conséquences économiques de la paix » que ce traité de paix était intenable et qu’il portait en lui les germes de la guerre. Il avait raison, l’effondrement économique provoqué par les réparations dûes à la France et la crise de 1929 sont pour beaucoup dans l’arrivée au pouvoir d’Hitler…

Au sortir de la seconde guerre mondiale, nous avons, à l’inverse, procédé à une annulation de la dette importante de l’Allemagne et à une relance mondiale (le plan Marshall) financée en grande partie par la création monétaire. La conséquence fut une croissance vive et une inflation élevée qui, au fil des 30 glorieuses, ont largement effacé en termes réels la dette de guerre.

Enfin, depuis la crise de 2008, nous n’avons cessé de tâcher de réduire notre dette par des mesures d’économies et de hausse des impôts qui n’ont, dans la plupart des pays, pourtant pas permis de réduire la dette tant ces coupes budgétaires sapaient en réalité la croissance. Il nous faut donc choisir aujourd’hui un chemin pour gérer le surplomb de dette dont nous hériterons (...)

Ces choix ne sont pas neutres politiquement car selon l’option choisie ce ne sont pas les mêmes qui payent. Il y a derrière ces choix économiques, des choix politiques et sociaux fondamentaux. (...)

La solution la plus régressive est celle de l’austérité qui fait le plus souvent payer les plus pauvres. Une politique de consolidation progressiste pourrait exister reposant sur les entreprises et les hauts revenus mais elle ne serait pas neutre pour l’économie. Enfin, la monétisation peut être relativement indolore si l’inflation qu’elle provoque est limitée mais elle peut aussi dégénérer si elle est mal calibrée. Il n’y a donc pas de solution parfaite et il faut mesurer et choisir les risques que l’on souhaite prendre.

Le financement monétaire semble être cependant la solution la plus appropriée mais elle n’est pas évidente car tous les pays européens ne la souhaitent pas et la Banque Central est indépendante. (...)

l’enjeu central est donc que les gouvernements acceptent d’abord que nous partagions une partie du coût de cette crise ce qui est un préalable nécessaire pour encourager la Banque Centrale à financer notre montagne de dette. C’est la raison pour laquelle derrière les débats lointains sur la solidarité se cache un enjeu fondamental pour notre politique économique et sociale pour les années qui viennent. Sans solidarité européenne, pas de monétisation par notre banque centrale commune, sans monétisation, l’austérité pour l’éternité…