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le Monde
Malades en prison : la colère du médecin de Fresnes
Article mis en ligne le 15 avril 2013

Anne Dulioust n’en peut plus et veut "alerter ceux qui ont encore la force de s’indigner". Cette médecin de 56 ans, docteure en immunologie, est depuis début 2011 chef de pôle de l’Etablissement public de santé national de Fresnes (EPSNF, Val-de-Marne), l’un des huit hôpitaux sécurisés qui prennent en charge les détenus malades. Elle s’est scandalisée, le 27 mars, dans un courrier "aux autorités compétentes", de "la réalité de l’état de santé des personnes âgées détenues".

Qu’est-ce qui motive votre coup de colère ?

Quand j’ai été chargée de redresser l’hôpital de Fresnes, j’avais la conviction que les détenus devaient bénéficier des mêmes soins qu’à l’extérieur. Je me suis rapidement rendu compte de l’ampleur de la tâche. L’hôpital est confronté à une prise en charge de patients âgés pour lesquels l’hospitalisation n’est pas la réponse.

C’est l’histoire de Michel qui m’a fait réagir. Ce patient de 68 ans, condamné pour conduite sans permis d’un véhicule volé et bris de matériel, est détenu depuis dix-huit mois. Le diagnostic de démence a été évoqué en mai 2011, dès son entrée en détention.

Il a été accueilli une première fois à l’EPSNF pour lui redonner un peu d’autonomie. Nous l’avons gardé six semaines, il allait un peu mieux, et nous avons tenté un retour en détention. On savait que ce n’était pas l’idéal, mais les places d’hospitalisation sont limitées.

Il a été rehospitalisé immédiatement dans un hôpital public, parce que le moindre changement de cadre aggrave l’état de ces personnes fragiles. Dans un hôpital psychiatrique, parce que c’est la seule réponse possible des médecins, même pour des maladies organiques qui atteignent les fonctions supérieures. Et là, après un surdosage en neuroleptiques, il est tombé dans le coma.

J’ai accepté de le prendre à nouveau en charge en octobre 2012, pour rendre service à l’hôpital public, et pour permettre de lever sa surveillance policière, jour et nuit. Il avait perdu 10 kg en six semaines. J’ai demandé à ce qu’il soit libéré pour raisons médicales. (...)

Son état est durablement incompatible avec la détention. Après quatre mois d’attente, il est enfin passé devant un juge, en février. Tout était prêt, il était accompagné en fauteuil roulant par un soignant. La réponse nous a consternés : la décision a été ajournée à la fin avril, parce qu’il n’avait pas d’avocat commis d’office ! C’est ce qui m’a mise en colère : il ne peut pas demander un avocat, il ne demande rien, il ne sait même pas qu’il est en prison ! Cette réponse est inacceptable pour un médecin. (...)

le juge attend parfois qu’on ait trouvé une place pour ordonner la libération : c’est le serpent qui se mord la queue. Finalement, j’ai obtenu gain de cause, la décision de mise en liberté a été prise fin mars.

Mais ce n’est pas un cas isolé. L’EPSNF dispose de 80 lits ; 8 patients, de 68 ans en moyenne, sont atteints de démence – un jeune, qui avait une maladie très grave, une neurosarcoïdose, a été libéré dernièrement. Tous ont un état incompatible avec la détention. Deux autres patients, de 67 ans et 71 ans, présentent des insuffisances respiratoires extrêmement sévères, ils sont sous oxygène. L’un est là depuis maintenant quatorze mois, l’autre depuis trois mois. Une première expertise a conclu à une incompatibilité de son état avec la détention, mais à une "compatibilité avec la détention à l’hôpital de Fresnes" ! Or, l’EPSNF n’est pas un lieu de détention où les gens vont passer quinze ou vingt ans, mais un lieu de soins. (...)