
Comme bon nombre de ses collègues de la « grande presse », Jean-Michel Aphatie a apporté sa contribution au traitement médiatique de la manifestation contre l’islamophobie du 10 novembre. Au lendemain de la marche, l’éditorialiste a ainsi choisi, sur LCI, de résumer une manifestation à deux épiphénomènes. Épiphénomènes qui n’avaient par ailleurs échappé à aucun confrère, tant ils furent montés en épingle à la télévision comme ailleurs, polarisant ainsi la quasi-totalité de la couverture de la manifestation. Un moment médiatique qui en dit long sur le pluralisme ambiant, et sur le poids écrasant de l’éditorialisation dans les « débats audiovisuels » : peu importe le terrain, pourvu qu’il y ait la polémique.
L’éditocrate, c’est maintenant bien connu et parfaitement documenté, est un professionnel de la profession dont la fonction consiste à donner un avis personnel sur n’importe quel sujet (l’éditocrate est par définition omniscient). Jean-Michel Aphatie en est un exemple emblématique. Transféré lors du dernier mercato audiovisuel depuis Europe 1, c’est désormais dans la matinale de LCI qu’il dit aux téléspectateurs ce qu’ils doivent penser sur les grands sujets du moment.
Et il n’a pas manqué à son devoir, lundi 11 novembre 2019, au lendemain de la « Marche nationale contre l’islamophobie », dans un éditorial qui aurait pu s’intituler : « l’art de l’éditocratie : comment réduire une manifestation à deux épiphénomènes ». C’est là un des talents du commentateur multicarte : extrapoler ou prendre la partie pour le tout à partir de brimborions soigneusement choisis, qui ont probablement échappé à la plupart des manifestants, mais qui finissent par faire la « une », contribuant ainsi à jeter le discrédit sur l’ensemble d’une mobilisation. Et par capillarité, à dénoncer tous ceux qui se sont fourvoyés en y appelant ou en participant, à commencer par Jean-Luc Mélenchon, Philippe Martinez et Benoît Hamon. (...)
ne retenir d’une manifestation contre l’islamophobie, dont la participation s’est avérée historique, qu’une simple photo « controversée » – et dont on répète partout à quel point elle est « controversée » – relève du tour de force… voire de la désinformation.
Tour de force qui se poursuit avec la surexposition d’un deuxième épiphénomène. Cette fois-ci, Jean-Michel Aphatie commente un extrait montrant l’un des organisateurs de la manifestation, juché sur la plateforme d’une camionnette et faisant scander « Allahou akbar » aux personnes rassemblées autour de lui. Sans rien dire du contexte, ni du discours en question, ni de son explication par son auteur, Jean-Michel Aphatie fustige « une scène effrayante », voire « une forme d’ambiguïté » vis-à-vis du terrorisme [2]. L’affaire est pliée. Enfin presque : l’éditocrate ne serait pas éditocrate sans accompagner ce traitement paresseux et outrancier d’un discrédit global. Ou comment tirer des conclusions et donner des leçons politiques à la terre entière sur la base de deux anecdotes (...)
De « je crois que » à « il faut que », c’est entendu : les musulmans ne savent pas ce qui est bon pour eux. Heureusement, Jean-Michel Aphatie est là, du haut de sa chaire médiatique, pour délivrer les certificats de bonne conduite, « trier » le bon grain de l’ivraie, et sommer les uns et les autres de faire « leur examen de conscience ». En bon éditocrate, sans autre curseur que sa fatuité, et sa suffisance. (...)
dans leur immense majorité, présentateurs, experts et éditorialistes ont usé d’une loupe grossissante pour traiter de la manifestation, reconvertis en têtes chercheuses de polémiques. Des attitudes qui témoignent d’une sérieuse maltraitance de l’information, contribuant à alimenter un débat public nauséabond, marqué depuis deux mois par des procédés médiatiques réellement problématiques (...)
Des mécanismes qui n’étonnent guère toutefois, tant le traitement de la marche subissait déjà, une semaine avant son début, un « bashing » quasi-unanime. (...)
Les arrangements des commentateurs avec le terrain constituent évidemment un problème démocratique majeur, symptôme de leur façon de traiter l’actualité politique et sociale en général. Il faut rappeler, pour finir, que la parole des organisateurs et des participants aura été largement minorée en amont, comme en aval de la marche.