
Les signataires de ce manifeste appellent à « en finir avec les dénis des responsables politiques quant aux effets bien présents d’une histoire esclavagiste et coloniale non reconnus par l’État, tout autant qu’avec ceux des autorités judiciaires qui refusent aux victimes des violences policières la vérité et la justice ».
Les extraordinaires manifestations qui se sont multipliées aux États-Unis puis dans le monde entier en réaction à l’assassinat par un policier de George Floyd le 25 mai 2020 à Minneapolis marquent un tournant historique majeur. La soudaine popularité du slogan « Black Lives Matter », lancé en 2013 au sein de la communauté afro-américaine, a permis qu’il soit enfin compris comme il devait l’être : la dénonciation d’un lien direct entre le mépris des « vies noires », qui fut au fondement de la première colonisation esclavagiste européo-américaine, et les violences policières dont les Afro-Américain.e.s sont aujourd’hui les cibles privilégiées. Et en Europe, ces mobilisations ont aussi permis de mieux comprendre en quoi les violences policières actuelles, ciblant particulièrement les citoyen.ne.s issu.e.s des anciennes colonies, mais aussi des populations des territoires, départements et collectivités dites d’outre-mer, étaient tout autant nourries des traditions racistes d’une longue histoire coloniale, esclavagiste en Afrique et en Amérique (Nord et Sud) à partir du XVIème siècle, puis d’exploitation économique à partir du XIXème siècle, en Afrique, en Asie, en Océanie et en Amérique du Sud. (...)
On l’a vu en France avec le succès imprévu de la manifestation parisienne appelée le 2 juin par le Comité vérité et justice pour Adama, établissant un parallèle explicite entre la mort par étouffement de George Floyd (en 2020) et celle du jeune Adama Traoré (en 2016), tous deux aux mains des forces de l’ordre. Pour la première fois, on a assisté à la convergence de combats conduits depuis des décennies à partir d’horizons différents : ceux, directement politiques, de nombreuses associations antiracistes ; ceux, politiques et humanitaires, des militants des droits humains et des familles de victimes dénonçant les violences policières ; et ceux des historiens et historiennes des colonisations et de leurs séquelles, attaché.e.s à l’établissement des faits, en particulier s’agissant du racisme d’État pratiqué dans leurs colonies par la IIIème République (1871-1940), mais aussi par les IVème et Vème Républiques jusqu’à la fin de la guerre d’indépendance algérienne et se poursuivant encore aujourd’hui dans les terres dites de la France d’outremer.
En révélant à l’opinion ce que doivent aux exactions coloniales d’hier nombre de violences policières d’aujourd’hui, cette convergence inédite a suscité les réactions virulentes – en particulier sur les plateaux de certaines chaînes d’information en continu – des éditorialistes nostalgiques de la colonisation : alors qu’ils s’obstinaient depuis vingt ans à dénoncer un imaginaire souci de « repentance » qui inspirerait les travaux des historien.ne.s du colonialisme, ils ont cette fois insisté sur les prétendues dérives « communautaristes » et le supposé « racisme anti-blanc » des militant.e.s mobilisé.e.s contre le racisme bien réel qui gangrène des pans importants de la police.
Plus grave, cette rhétorique d’un autre temps a été reprise par le président Emmanuel Macron, qui a estimé récemment en privé : « Le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux. » Tout en ajoutant : « La guerre d’Algérie reste un impensé. […] Il y a tout un travail à faire avec les historiens, mais cela prend du temps. […] Effacer les traces ne traite pas le traumatisme » [1]. Ce qu’il a répété dans son discours du 14 juin réagissant notamment aux grandes manifestations antiracistes : « Ce combat noble est dévoyé lorsqu’il se transforme en communautarisme, en réécriture haineuse ou fausse du passé. Ce combat est inacceptable lorsqu’il est récupéré par les séparatistes. »
C’est un choix politique désastreux. Celui de répondre par une brutale fin de non-recevoir à l’aspiration d’une large fraction de la population française, notamment de la jeunesse, à la justice et à l’égalité réelle. Celui d’un encouragement du sommet de l’État à ceux qui attisent la haine raciste, en direction desquels d’inquiétants appels du pied avaient déjà été lancés par l’Élysée ces derniers mois. Il dément grossièrement la sincérité de déclarations de campagne sur la colonisation comme « crime contre l’humanité », comme l’entrave sans précédent à l’accès aux archives des répressions coloniales dément la volonté jadis affichée de « regarder en face » notre passé, mais aussi encore des pratiques présentes dans la France dite d’outre-mer.
Ce choix relève d’un déni d’État. (...)
On l’a vu en France avec le succès imprévu de la manifestation parisienne appelée le 2 juin par le Comité vérité et justice pour Adama, établissant un parallèle explicite entre la mort par étouffement de George Floyd (en 2020) et celle du jeune Adama Traoré (en 2016), tous deux aux mains des forces de l’ordre. Pour la première fois, on a assisté à la convergence de combats conduits depuis des décennies à partir d’horizons différents : ceux, directement politiques, de nombreuses associations antiracistes ; ceux, politiques et humanitaires, des militants des droits humains et des familles de victimes dénonçant les violences policières ; et ceux des historiens et historiennes des colonisations et de leurs séquelles, attaché.e.s à l’établissement des faits, en particulier s’agissant du racisme d’État pratiqué dans leurs colonies par la IIIème République (1871-1940), mais aussi par les IVème et Vème Républiques jusqu’à la fin de la guerre d’indépendance algérienne et se poursuivant encore aujourd’hui dans les terres dites de la France d’outremer.
En révélant à l’opinion ce que doivent aux exactions coloniales d’hier nombre de violences policières d’aujourd’hui, cette convergence inédite a suscité les réactions virulentes – en particulier sur les plateaux de certaines chaînes d’information en continu – des éditorialistes nostalgiques de la colonisation : alors qu’ils s’obstinaient depuis vingt ans à dénoncer un imaginaire souci de « repentance » qui inspirerait les travaux des historien.ne.s du colonialisme, ils ont cette fois insisté sur les prétendues dérives « communautaristes » et le supposé « racisme anti-blanc » des militant.e.s mobilisé.e.s contre le racisme bien réel qui gangrène des pans importants de la police.
Plus grave, cette rhétorique d’un autre temps a été reprise par le président Emmanuel Macron, qui a estimé récemment en privé : « Le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux. » Tout en ajoutant : « La guerre d’Algérie reste un impensé. […] Il y a tout un travail à faire avec les historiens, mais cela prend du temps. […] Effacer les traces ne traite pas le traumatisme » [1]. Ce qu’il a répété dans son discours du 14 juin réagissant notamment aux grandes manifestations antiracistes : « Ce combat noble est dévoyé lorsqu’il se transforme en communautarisme, en réécriture haineuse ou fausse du passé. Ce combat est inacceptable lorsqu’il est récupéré par les séparatistes. »
C’est un choix politique désastreux. Celui de répondre par une brutale fin de non-recevoir à l’aspiration d’une large fraction de la population française, notamment de la jeunesse, à la justice et à l’égalité réelle. Celui d’un encouragement du sommet de l’État à ceux qui attisent la haine raciste, en direction desquels d’inquiétants appels du pied avaient déjà été lancés par l’Élysée ces derniers mois. Il dément grossièrement la sincérité de déclarations de campagne sur la colonisation comme « crime contre l’humanité », comme l’entrave sans précédent à l’accès aux archives des répressions coloniales dément la volonté jadis affichée de « regarder en face » notre passé, mais aussi encore des pratiques présentes dans la France dite d’outre-mer.
Ce choix relève d’un déni d’État. (...)
Cette convergence des combats politiques, sociaux et scientifiques exprime pour la première fois de façon aussi claire une puissante ambition politique : celle de l’instauration d’une République française authentiquement antiraciste, pleinement consciente de l’importance d’en finir avec les rémanences du passé colonial et esclavagiste. Bien d’autres combats seront nécessaires pour y parvenir et c’est ce à quoi entendent s’employer les signataires de ce « manifeste », en développant des initiatives communes et en donnant à voir, dans chacune de leurs propres mobilisations, ce qui les relie à toutes les autres œuvrant dans le même sens. (...)
Pour marquer cette prise de conscience nécessaire, nous appelons notamment à :
• Défiler, le 14 juillet 2020, de la place de la Bastille à la place de la Nation, comme cela s’est fait jusqu’en 1953, à l’appel de la CGT, lors de l’espoir des « jours heureux » au sortir de la Résistance, quand les indépendantistes d’Indochine, du Maghreb et d’Afrique y prenaient place,
• Soutenir les « balades anticoloniales » organisées par le Front uni de l’immigration et des quartiers populaires sur le thème « décolonisons notre espace public ! » et les initiatives de « Décoloniser les arts »,
• Réclamer un espace au Panthéon honorant des héros des luttes d’indépendance des peuples colonisés, ainsi que des peintures murales ou des monuments à Paris à la mémoire, par exemple, de Fahrat Hached et Ruben Um Nyobè, militants indépendantistes tunisien et camerounais assassinés par les militaires français les 5 décembre 1952 et le 13 septembre 1958,
• Demander à Paris des statues ou des peintures murales de Toussaint Louverture, héros de la Révolution haïtienne, et de l’émir Abd el Kader (comme le faisait en octobre 2017 le site histoirecoloniale.net), ce « héros national algérien », selon les mots inscrits à la place qui porte son nom, sur la plaque apposée en 2006 par le maire de Paris, et aussi du commandant Louis Delgrès, martyr antillais de la terrible répression esclavagiste de 1802 en Guadeloupe,
• Affirmer, en 2020, lors des commémorations du crime d’État que fut la répression sauvage à Paris du 17 octobre 1961, l’indispensable solidarité mondiale et un vrai universalisme, pour une République française antiraciste et décolonialisée.