
Depuis mi-mars, Manuel Valls est en campagne médiatique. Cette tournée, interminable, est l’occasion de souligner les traits les plus grossiers du journalisme politique dominant, dépolitisé et amnésique : absence de contradiction, psychologisation, peopolisation… Les journalistes s’y font les promoteurs, pour ne pas dire les co-auteurs, du roman de l’homme politique, qu’ils sollicitent également pour alimenter les paniques morales du moment. D’un plateau à l’autre, les mêmes questions posées avec la même commisération et la même fascination. Plus rien ne distingue alors un entretien sur France Info d’une recension du Figaro, ni un portrait de Paris Match d’une interview de RTL.
La tournée médiatique de Manuel Valls, engagée mi-mars à l’occasion de la parution chez Grasset de son ouvrage Pas une goutte de sang français. Mais la France coule dans mes veines, est un cas d’école de ce que l’on appelle la dépolitisation de la politique. Ou comment les sujets de fond et la mise en débat du bilan politique de Manuel Valls sont éclipsés au profit d’un « story-telling » intime et personnel : ses blessures morales, son ego, sa situation familiale, ses souvenirs d’enfance, ses goûts culturels et ses petits plaisirs du quotidien. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cette publication a attiré l’attention des médias (...)
Du 17 mars au 14 avril, on ne compte pas moins de 43 apparitions médiatiques ou recensions, sans compter les nombreux articles publiés dans la presse people (Closer, Gala) et féminine (Le Journal des femmes, Femmes Actuelles). (...)
Dans les articles et entretiens consacrés à l’ouvrage de l’ancien Premier ministre, les journalistes reprennent à leur compte le récit produit par Manuel Valls sur lui-même – un « visionnaire » – et sa trajectoire politique – « tragique ». Loin de déconstruire cette dramaturgie, les journalistes s’en font les promoteurs, et donc les coproducteurs. Et si tous les médias ne cèdent pas la même place au « pittoresque », la majorité d’entre eux emboîtent bien volontiers le pas du « drama » vallsiste. Best of en vidéo (...)
Partout, le tapis rouge. (...)
Pour accueillir Manuel Valls, les journalistes ont donc sorti le divan. Les grands médias semblent même s’être reconvertis en une vaste émission de confessions intimes : comme leurs confrères de l’audiovisuel, hebdos et presse nationale – dont bien des grandes plumes fulminent d’ordinaire contre ce qu’ils nomment « la victimisation » – ont fait vibrer les violons. (...)
La fabrique d’un porte-parole des paniques morales
D’entre toutes, une série d’obsessions journalistiques fait largement consensus : l’« islamo-gauchisme », les réunions non-mixtes et la dite « polémique » autour des propos d’Audrey Pulvar [2]. Bref, les paniques morales [3] qui agitent depuis plusieurs mois les plateaux télé, que les intervieweurs réactivent allègrement en présence de Manuel Valls – ce dernier ne demandant pas mieux, et se prêtant très volontiers à l’exercice.
Et si tous les journalistes ne sont pas aussi caricaturaux, tous apportent de l’eau au moulin des paniques morales. (...)
Opération « Réhabiliter le soldat Valls »
Et quand les journalistes ne s’appesantissent pas sur les réunions non mixtes ou les souffrances de Manuel Valls, ils le recyclent en tant que commentateur politique. Dans la matinale de Sud Radio, le 1er avril, Manuel Valls est questionné sur la gestion du Covid, les mesures sanitaires, la campagne de vaccination, ou encore la communication d’Emmanuel Macron. (...)
Sans compter le petit rituel prospectif de nos fins limiers, qui ne peuvent s’empêcher d’enquêter sur la future élection présidentielle. (...)
De son bilan politique dans le gouvernement de François Hollande, de son défilé au côté de l’extrême droite au moment des mouvements indépendantistes en Catalogne, de ses comptes de campagne épinglés par la Cour des comptes espagnole, il n’est jamais question, ou si peu. Une question glissée au milieu d’une interview à Ouest France (28 mars) ou à la toute fin de l’entretien sur France Inter (22 mars). Par deux fois, Manuel Valls se dérobe, par deux fois, les journalistes n’insistent pas. Courage, fuyons.
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À l’occasion de la parution de son livre, Manuel Valls a bénéficié d’une véritable tribune médiatique. L’occasion, une fois encore, d’observer la fabrique d’un journalisme politique mimétique, dépolitisé et complaisant. Une tournée en forme de réhabilitation et de reconquête : Manuel Valls dit vouloir « revenir dans le débat public » ? Les grands médias s’exécutent. Mais dans Paris Match, il déclarait également : « Peut-être en ai-je aussi trop fait à certains moments ? J’aurais dû apprendre à manier le silence. » Là aussi, les journalistes auraient dû le prendre aux mots. Il n’est jamais trop tard !
Et surtout Valls est l'homme qui déclarait que les Roms ne pouvaient s'intégrer pour des raisons culturelles, affichant un culturalisme essentialiste typique des idéologies racistes d'extrême-droite. La Licra perd toute crédibilité dans le combat contre le racisme. https://t.co/TyjMvRhNVU
— Renaud Tarlet (@RenaudTarlet) April 17, 2021