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Maraîchage, boulangeries, entraide : les vrais visages de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes
Article mis en ligne le 17 janvier 2018

Le gouvernement s’apprête à rendre une décision définitive sur le devenir du projet d’aéroport, tout en brandissant la menace d’une expulsion « quoi qu’il arrive » des occupants de la « Zone à défendre ». Sur place les activités quotidiennes se poursuivent, bien loin des fantasmes médiatiques alimentés par l’appareil sécuritaire. Une guérilla armée en plein bocage ? On y trouve bien plus d’installations agricoles, de boulangeries, d’auberges autogérées que de caches d’armes... ainsi qu’une gestion collective des terres, en lien avec des paysans locaux et de nombreux citoyens. Une utopie en actes que les occupants entendent bien prolonger, une fois le projet d’aéroport abandonné. Reportage et photos non truquées.

Jour d’hiver à Notre-dame-des-Landes. Le ciel, gris, est menaçant. Chaussés des bottes ou des godillots de rigueur pour affronter la boue, plusieurs membres du collectif de Bellevue, une ferme située à l’ouest de la « Zone à défendre » (la Zad), viennent de faire monter des bœufs dans une grande remorque. Direction : leur ferme de naissance, où l’éleveur les récupérera. « Certains agriculteurs du coin nous prêtent des veaux, qu’on laisse grandir ici, en les faisant pâturer, explique Camille [1]. C’est aussi une manière de soutenir la lutte, car cela nous permet d’occuper l’espace. »

Dans une salle attenante à la maison, Carla s’active. Elle est arrivée tôt ce matin pour mouler ses fromages et doit se dépêcher : elle est attendu au Liminbout, le hameau voisin, où siègent les « Q de plomb ». Dans cette auberge qui organise des festins sur commande, cohabitent certains occupants « historiques » de la Zad. Il y concoctent des petits plats à partir de productions locales qui seront dégustés par des visiteurs. « Les gens viennent par exemple fêter un anniversaire, décrit Carla. La plupart des convives habitent hors de la Zad, beaucoup ne sont jamais venus avant. Les « Q de plomb », c’est vraiment un lieu de brassage. D’ailleurs, c’est pour cela qu’il a été créé. »

Des zadistes armés... de toute leur bonne humeur
À Bellevue, au Liminbout, et ailleurs dans le bocage, on a beaucoup ri en apprenant que les occupants de la Zad avaient été propulsés experts en attaques terroristes par des éditorialistes et journalistes parisiens n’ayant jamais posé un pied à Notre-Dame-des-Landes. Le 13 décembre dernier, les trois médiateurs désignés par le Premier ministre pour émettre un énième avis sur le projet de construction d’un aéroport remettaient leur rapport au gouvernement. L’évacuation de la Zad fait alors la une des JT et des journaux. Certains s’en donnent à cœur joie, prétendant que les occupants sont lourdement armés, et ont préparé de terribles pièges [2].« On n’a toujours pas trouvé comment souder des lames de rasoir sur des boules de pétanque », s’esclaffe Basile, allusion à des propos relayés par France 2. (...)

« Le problème avec cette diabolisation de la lutte, glisse Carla, c’est que cela crée l’opinion. Un journaliste étranger nous a carrément appelé en demandant s’il y avait des femmes et des enfants sur place… D’autres demandent à confirmer qu’on n’est pas armés ! » « Personne ici ne cherche à tuer ni à mourir, clarifie Basile. On a autre chose à faire que de se sacrifier. »

Des cultures, deux boulangeries et même des fromageries
« Ce que l’on défend ici, y compris physiquement si nécessaire, c’est l’autonomie, précise le jeune homme. D’abord matérielle : nous produisons assez de céréales pour alimenter deux boulangeries en farine. Nous disposons aussi de deux lieux de maraîchage, de très nombreux jardins, et de divers projets d’installations. Nous cultivons des plantes médicinales, des vergers ont été plantés. Il y a des fromageries qui tournent. » Des ateliers de charpente, de réparation d’outils agricoles, de coupes de bois, se tiennent régulièrement…. (...)

Cette occupation illégale ne semble pas déranger qui que ce soit. On retrouve ce scénario du côté des paysans « historiques » expropriés de leurs terres en décembre 2015, et qui continuent leur activité comme si de rien n’était. « On s’est demandés s’ils allaient continuer à toucher les aides de la PAC (politique agricole commune, ndlr), par exemple. Et bien oui, s’étonne Carla. La laiterie continue aussi de passer récupérer leur production, cela ne semble poser aucun problème qu’ils soient sous le coup d’une expropriation. »

« Le plus important ici, c’est l’autonomie politique »
« Ici, on ne travaille pas que sur l’autonomie matérielle, souligne Basile. Ça, des éco-lieux le font très bien ailleurs en France. Ce qui est unique ici, et sans doute le plus important, c’est l’autonomie politique, avec une capacité d’auto-organisation et d’auto-décision. » Trois assemblées rythment la vie de la Zad (...)

Le 10 février, une « Fête de la victoire »

Pas d’expulsion, retour des gens qui ont lutté dans leurs droits, maintien des projets hors-cadre, gestion commune des terres : telles sont, pour le mouvement, les bases non négociables du futur de la Zad. « D’ici-là, le plus important, c’est de cultiver les terres tous les jours, avance Gibier en déchargeant la structure métallique de son futur bâtiment agricole, pour repousser l’arrivée des tractopelles, et rendre toute intervention de plus en plus difficile. » Selon Basile et Carla, le gouvernement n’est pas clair : va -t-il négocier ? Avec qui ? Pour obtenir quoi ? « Son but évidemment, ça va être d’atomiser les différentes situations », devine Basile. Mais la capacité à rassembler des militants très divers, et à utiliser des ressorts très variés de lutte – recours juridiques, occupations de lieux publics, manifestations, soutiens logistiques aux occupants... – avait surpris tout le monde lors de l’intervention de 2012, et valu au gouvernement une cuisante défaite. (...)

Depuis, les liens se sont largement renforcés, à l’intérieur de la Zad comme avec les voisins immédiats, et avec des comités de soutien qui se sont multipliés à travers le pays. (...)

Prochain rendez-vous, le samedi 10 février, lendemain de la fin officielle de la déclaration d’utilité publique – qui a une durée de vie de dix ans – pour la « Fête de la victoire ».