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Mariage gay : « La gauche devrait dire : “C’est génial ce qu’on fait !” »
Article mis en ligne le 17 décembre 2012

Irène Théry, sociologue du droit et spécialiste de la famille qui a participé à l’élaboration du Pacs, explique pourquoi « le sens profond du mariage a changé ».

(...) Il y a plus de vingt ans, ma vie a été bouleversée par l’homosexualité masculine, dans des circonstances assez particulières. C’était en 1990, mon mari a été victime d’une endocardite gravissime, et il est resté dans la réanimation intensive du service des maladies infectieuses d’un grand hôpital parisien pendant deux mois entre la vie et la mort. Quand il en est sorti, il est passé à une chambre dans le service ordinaire, pour encore un mois ou deux.

Et là, c’est simple : on était dans les années sida, avant les trithérapies, et dans le service tous les patients étaient séropositifs, tous sauf lui. Mais il était si faible et avait une telle apparence que forcément tout le monde le prenait pour un malade du sida à la dernière extrémité. (...)

Je ne pourrais jamais vous dire ce que j’ai vécu pendant ces longues semaines. On se parlait beaucoup, d’un patient à l’autre, d’une famille à l’autre. On tenait dans ses bras des garçons seuls, mourants, que leur famille avait abandonnés. Je n’ai plus jamais eu depuis la même idée du couple, parce que c’était comme si j’avais vécu de l’intérieur les drames vécus par les malades et leurs compagnons qui aux yeux de la loi n’étaient rien.

En plus, quelques semaines avant, le pire soir de ma vie, alors que mon mari septicémique allait être opéré à cœur ouvert avec une chance sur mille de s’en sortir, le hasard a fait que parmi mes amis très proches c’est justement un couple homosexuel qui m’a invitée chez lui pour passer ces heures difficiles. Je n’ai pas d’autres mots que de dire que ce soir-là, Alain et Pierre se sont occupés de moi comme un père et une mère. Oui, c’est le mot qui convient : comme s’ils étaient mon père et ma mère. (...)

A ce moment-là j’ai eu la conviction non pas abstraite mais vraiment chevillée au corps à la fois que couple de sexe différent et couple de même sexe, c’est la même chose exactement, et que les homosexuels n’étaient pas admis dans la société comme formant de vrais couples, non seulement à cause de l’homophobie incroyable qu’il y avait alors, mais plus profondément parce qu’on les renvoie toujours à la sexualité comme si elle les définissait. Une chose que Foucault a magnifiquement su dire et dénoncer, dans « Histoire de la sexualité », un texte que j’avais lu depuis longtemps mais sans en mesurer tout le sens.

J’ai décidé que je ne pouvais pas continuer mon travail de sociologie de la famille en laissant ça de côté, j’ai changé tous mes projets et j’ai commencé une grande enquête à l’hôpital sur le lien entre les personnes séropositives et leurs proches. (...)

Pour ma part, il y a dix ans, j’ai changé sur le mariage au fond quand j’ai compris que ce que j’avais soutenu au départ, la création d’une union civile donnant 100% des mêmes droits au couple, ne suffisait pas si on refusait le mot « mariage », c’est-à-dire au fond la symbolique de l’honneur et de la dignité. Le mot compte autant que les droits.