
Un mercredi sur deux, les mères, les femmes et les sœurs des 39 derniers manifestants du Hirak (mouvement) du Rif emprisonnés à Casablanca font 1200 km de bus pour aller voir leurs proches. Avec l’aide du Comité de soutien aux familles de détenus du Hirak, elles se battent pour améliorer leurs conditions de détention et pour faire face à un quotidien difficile.
(...) Entre mai et juillet 2017, l’État a arrêté des centaines de manifestants du Hirak, un mouvement populaire qui a démarré en octobre 2016 suite à la mort tragique de Mouhcine Fikri à Al-Hoceima, capitale du Rif. Le vendeur de poisson avait été broyé par une benne à ordures alors qu’il tentait de récupérer ses marchandises confisquées par les autorités. Les manifestations qui ont suivi dénonçaient, entre autres, la corruption, la marginalisation de la région du nord-est et le manque d’hôpitaux et d’universités. Aujourd’hui, 39 des hommes arrêtés sont toujours enfermés loin de chez eux, à Casablanca, où sont historiquement incarcérés les prisonniers politiques au Maroc. Leur procès en appel a commencé il y a près de trois mois, le 14 novembre 2018, et trois audiences ont déjà eu lieu. (...)
À leur sortie de la prison, vers 13 h, les Rifaines, qui viennent de passer deux heures au parloir, sont davantage disposées à nous parler, malgré le regard inquisiteur des policiers qui nous suivent discrètement. « Ça va, il va bien », souffle Oulaya, vêtue de noir, la mère de Nabil Hamjike, condamné à 20 ans d’emprisonnement. « Mais il n’a rien à faire là, il n’a pas volé d’argent, ils ont réclamé leurs droits. Mon garçon mérite une médaille, pas la prison ! », clame la femme de 61 ans qui appelle tous les prisonniers « mes fils ». (...)
Hanane, 31 ans, la sœur de Mohamed Harki, qui risque 15 ans, est plus inquiète. Son frère mène alors une grève de la faim pour réclamer son inscription en master, qu’il a depuis obtenue. (...)
Depuis le transfert des détenus à Oukacha, rapidement après leurs arrestations, le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), une instance relativement indépendante de l’État a obtenu que trois minibus soient fournis gratuitement, un mercredi sur deux, par le conseil régional de la ville de Casablanca. Au début, quelques familles pouvaient se permettre de venir tous les mercredis, les visites étant hebdomadaires, mais avec un coût de 300 DH (27,5 euros) par passager pour un aller-retour, elles étaient peu nombreuses. Toutes racontent l’épuisement, les mollets qui gonflent, le froid en hiver et les vomissements. Mais si pour certaines, les trajets s’espacent, aucune n’envisage d’y mettre fin. (...)
Rhimou Saidi assure avoir pris conscience de l’injustice et compris que tout ce que son fils lui disait était vrai. « Avant la mort de Mouhcine Fikri, je n’étais jamais descendue dans la rue. » Une première pour de nombreuses femmes rifaines, plutôt conservatrices et habituées à rester entre quatre murs. (...)
Créé en mai 2017, le Comité de soutien a organisé des manifestations et des sit-ins. « On voulait à la fois mettre en lumière le sort des familles de prisonniers du Hirak et les soutenir moralement et matériellement », précise Amina Boukhakhal, également membre de l’organisation. Les militants leur ont transmis les contacts d’avocats, ont organisé une collecte de vêtements chauds et, à chaque procès, ont ouvert les portes de leurs maisons pour les héberger. (...)
depuis des décennies, l’État cherche à marginaliser cette région au passé rebelle. (...)
En 1959, en réaction à une intifada, le royaume a bombardé la région au napalm, tuant 10 000 personnes. Et en 1984, à la télévision, le roi Hassan II a insulté des manifestants rifains en les traitant de « awbash », ce qui signifie « sauvages ». « Il nous a humiliés », tranche la mère de Jelloul.
DES MILITANTES « DES ANNÉES DE PLOMB »
Les familles sont aussi en lien avec des médecins du Comité médical pour la réhabilitation des victimes de la violence. Une aide précieuse alors que la région connaît, sans doute en raison de l’utilisation de gaz moutarde par l’Espagne en 1926, le taux de cancer le plus élevé du Maroc1 (...)
Dans les années 1970 et 1980 déjà, les femmes ont eu un grand rôle dans la lutte pour les droits humains. Comme aujourd’hui, elles transmettaient les revendications des détenus à l’extérieur. En 1979, l’AMDH a notamment été créée par des membres de familles de détenus. Autre clin d’œil cruel de l’histoire, les deux anciens militants d’extrême gauche et les actuels détenus du Hirak partagent le même juge, Lahcen Tolfi, redouté pour sa fermeté. (...)
En attendant un verdict définitif du célèbre magistrat, à Al-Hoceima où plus aucun journaliste étranger n’est autorisé, la vie est comme suspendue. (...)
« De toute façon, Al-Hoceima est vide. Quand nos fils ne sont pas enfermés, ils vont se noyer dans la Méditerranée. » Car le désespoir est aussi financier. Le mari ou le frère incarcéré était souvent le seul à apporter un revenu dans une région où 40 % des jeunes sont au chômage et où l’économie repose en partie sur la culture illégale du cannabis. (...)
Si les conditions de détention ont pu évoluer à Casablanca, ce n’est pas le cas pour ceux enfermés dans d’autres prisons comme celle d’Al-Hoceima ou pour les manifestants d’autres mouvements tels que celui de Jerada qui ne profitent pas de la même attention de la part des associations et des médias internationaux. (...)
Dans un communiqué publié le 17 décembre au sujet du procès en appel, Amnesty International a dénoncé « un nouveau simulacre de justice » et « des aveux extorqués sous la torture ». Le 18 janvier, Nasser Zefzafi, leader du mouvement, confiné à l’isolement à Oukacha, ainsi que d’autres détenus ont quant à eux décidé de boycotter la quatrième audience, jugeant que les conditions pour un procès équitable n’étaient pas réunies. (...)