
Alors que les élections se suivent et se ressemblent en Algérie, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre, notamment dans des documentaires et des films de fiction, pour dénoncer un système à l’agonie toujours prolongée. Plongée dans la réalité vécue par le peuple algérien, entre résignation et colère.
Le 4 mai 2017, les Algériens ont été appelés à voter afin de renouveler une Assemblée populaire nationale (APN) majoritairement aux mains des partis de l’administration que sont le Front de libération nationale (FLN) – parti unique de 1963 à 1989, année de l’instauration du pluralisme – et le Rassemblement national démocratique (RND) – créé en 1997 et qui bénéficia d’une fraude massive lors des premières législatives consécutives à l’arrêt du processus électoral en 1992.
S’il n’y aura guère de surprise concernant le résultat de cette nouvelle consultation – sauf, peut-être, dans la répartition des sièges entre les sensibilités nationalistes, islamistes, socialistes ou libérales –, le gouvernement a, pour sa part, mené la bataille contre l’abstention [1]. Les imams-fonctionnaires – d’après la Constitution, l’islam est la religion d’État – ont même reçu pour instruction d’appeler les fidèles à voter dans leurs prêches [2]. Car il s’agit pour les tenants du régime de montrer aux observateurs qu’ils peuvent mobiliser la population et se prévaloir, en apparence, d’une légitimité démocratique qui leur fait toutefois défaut depuis des décennies.
De leur côté, les Algériens – en particulier les jeunes urbains – sont extrêmement lucides quant aux règles du jeu et la nature des institutions. Ils le démontrent en s’abstenant massivement à chaque scrutin et en le faisant savoir dans les stades de football ou sur les réseaux sociaux. En réaction, les autorités ont cherché à faire taire les voix qui appelaient au boycott ou qui tournaient en dérision la farce électorale [3]. Le ministre de l’Intérieur a par exemple annoncé l’arrestation d’un individu accusé de « porter atteinte au processus législatif et à la constitution » pour avoir détourné sur Facebook l’affiche officielle de la campagne [4].
À ces atteintes à la liberté d’expression qui n’ont rien de nouveau en Algérie s’ajoutent des signes inquiétants qui attestent de la progression de l’obscurantisme dans le champ politique. (...)
la société semble avoir gagné la paix civile en échange de l’hégémonie idéologique des islamistes. (...)
C’est en ayant en tête tous ces éléments que le film Vote Off – réalisé par Fayçal Hammoum et produit par Yacine Bouaziz (Thala films) – révèle son intérêt pour comprendre le rapport à la politique des jeunes Algériens. Le documentaire a d’ailleurs été tourné lors des élections présidentielles d’avril 2014 auxquelles s’est présenté Abdelaziz Bouteflika, pourtant trop faible pour faire campagne – ce qui ne l’a pas empêché de rempiler pour un quatrième mandat au grand dam d’une opposition atomisée.
Vote Off a bénéficié d’une bien involontaire notoriété médiatique, en septembre 2016, en raison de la censure des autorités algériennes qui ont refusé de lui délivrer une autorisation de projection. (...)
Pourtant, loin d’être un brûlot contestataire, le documentaire se contente de donner la parole à des individus qui refusent le pluralisme encadré et tentent, malgré les contraintes, de s’exprimer, de créer, de vivre tout simplement, après avoir grandi dans la guerre civile.
On retrouve dans Vote Off les conséquences des « printemps arabes » qui se sont concrétisées en Algérie à travers l’apparition de nouveaux médias comme la radio Jil FM – à destination des jeunes auditeurs – ou de télévisions privées comme Echorouk TV – venant concurrencer le monopole étatique. Certains débats sur les « lignes rouges » à ne pas dépasser, la déontologie et l’indépendance ont fort heureusement été gardés au montage. La brève existence du mouvement Barakat – opposé au quatrième mandat de Bouteflika – est aussi rappelée par l’intermédiaire de quelques plans filmés dans la rédaction d’El Watan/Weekend. (...)
à côté de séquences retranscrivant la langue de bois des grands commis de l’État, la force de Vote Off réside surtout dans ces séquences où s’expriment avec sincérité le rappeur de Bab-el-Oued ou le petit commerçant de la Mitidja, rappelant ainsi que l’Algérie ne se limite pas à sa capitale, où se manifeste toutefois avec plus de clarté le rejet des scrutins faussés.
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On peut néanmoins regretter, en dépit de la pluralité des points de vue offerts par le documentaire, la très faible présence des femmes à l’écran – ce qui ne traduit pas la volonté de l’équipe du film mais plutôt les réticences des femmes sollicitées ou les pressions de leur entourage. En revanche, Vote Off constitue indéniablement un excellent support pour saisir les dynamiques à l’œuvre dans l’Algérie contemporaine en donnant à voir ces « simples citoyens », arabophones ou francophones, qui font société. Ce documentaire doit être complété par le visionnage d’autres excellents films comme Dans ma tête un rond-point de Hassen Ferhani sur la jeunesse laborieuse, Contre-pouvoirs de Malek Bensmaïl sur les médias privés ou encore À mon âge, je me cache encore pour fumer de Rayhanna sur la condition des Algériennes dans les années 1990.