De nombreux grands groupes peu concernés par la crise bénéficient de la manne publique du plan "Un jeune, une solution". Entré en vigueur en août 2020, le dispositif gouvernemental destiné à subventionner l’embauche des moins de 26 ans s’accompagne en réalité de nombreux effets pervers. Décryptage.
De l’argent public comme s’il en pleuvait. Depuis le début de son quinquennat, Emmanuel Macron ne regarde jamais à la dépense quand il s’agit de garnir les caisses des entreprises, surtout les plus grandes. Après la transformation du Cice en allégement de cotisations sociales, la baisse de l’impôt sur les sociétés et des impôts de production, la nouvelle offrande se nomme « Un jeune, une solution ». Le principe est simple : pour toute embauche d’un jeune de moins de 26 ans en CDI ou CDD de plus de trois mois, l’entreprise reçoit un chèque de l’État d’un montant de 4 000 euros maximum. Pour l’embauche d’un alternant, la somme peut grimper à 8 000 euros. Prévu initialement pour s’arrêter fin janvier, ce dispositif, entré en vigueur en août 2020, a récemment été prolongé par la ministre du Travail. Montant global : 6,7 milliards d’euros.
L’avalanche de milliards rate sa cible
Personne ne reproche à l’Élysée de s’attaquer au chômage des jeunes, fléau concernant près de 500 000 personnes selon les derniers chiffres de Pôle emploi. Mais les plus sceptiques – économistes et syndicalistes – redoutent depuis le départ que cette avalanche de milliards rate sa cible, comme trop souvent. (...)
En gros, deux écueils sont pointés : l’effet d’aubaine, c’est-à-dire le fait qu’une entreprise perçoive de l’argent public pour des embauches qu’elle aurait de toute façon réalisées ; et l’effet de seuil, c’est-à-dire le fait que des jeunes « prennent la place » de travailleurs âgés de plus de 26 ans, exclus du dispositif. (...)
Il y a quelques jours, un responsable du magasin m’a prévenue qu’ils ne pourraient pas me garder dans l’entreprise. “À la place, on va embaucher des jeunes, car l’État donne des aides”, m’a-t-il lancé en guise d’explication. Je trouve ça indécent, surtout qu’ils savent à quel point c’est dur de trouver du boulot dans la période. » (...)
« Virés, malgré des promesses d’embauche » (...)
la direction de Carrefour a abondamment communiqué sur sa volonté d’embaucher 7 000 jeunes en CDI et 8 000 alternants, dans le cadre du plan « Un jeune, une solution ». Mais cette bonne nouvelle s’accompagne d’une contrepartie de taille : consigne aurait été donnée, en interne, de fermer le robinet des contrats à durée déterminée. « Les directeurs de magasin nous ont dit qu’ils avaient pour ordre d’arrêter tous les CDD en France dès janvier, fulmine Philippe Allard, délégué syndical central CGT. Certains salariés vont se retrouver virés, alors même qu’ils avaient obtenu des promesses d’embauches en CDI il y a quelques mois. (...)
« Pas de création d’emploi supplémentaire »
Certains économistes ont mis en garde dès le départ contre ce genre de dérives. « Les effets de seuil sont malheureusement très fréquents dans ce type de dispositif, nous expliquait Éric Heyer (OFCE), mi-janvier. Vous risquez de vous retrouver avec des chefs d’entreprise qui, au lieu d’embaucher un chômeur de 27 ans, par exemple, préféreront prendre un salarié plus jeune, pour bénéficier de l’aide. Dans ce cas-là, il n’y a pas de création d’emploi supplémentaire. » (...)
Il est possible que les entreprises de taille modeste, ou celles dont les finances ont été plombées par la pandémie, voient dans le plan gouvernemental un ballon d’oxygène bienvenu. Mais qu’en est-il des plus grosses, celles qui n’y ont pas laissé trop de plumes et n’ont aucune difficulté pour embaucher ? Ces « effets d’aubaine » risquent d’être encore plus spectaculaires pour les groupes fonctionnant déjà avec des légions de jeunes travailleurs.
En attendant, le gouvernement vante le succès de son dispositif, et notamment en ce qui concerne l’embauche d’alternants, dont les chiffres volent de record en record (...)