
L’ampleur et la dimension des informations révélées par le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur les cabinets de conseil publié le 17 mars dernier a le mérite d’éclairer les citoyens sur l’état de délabrement de nos institutions, gravement menacées depuis plusieurs années par des dérives susceptibles de relever du champ pénal, et à tout le moins, osons le dire, de donner à voir un État possiblement frappé par la corruption.
Les articles publiés sur ce sujet par des journalistes d’investigation, notamment celui du 30 mars par le Canard enchaîné sur « l’incroyable myopie » du fisc français, devraient en principe conduire le procureur de la République, qu’il s’agisse du parquet de Paris ou du PNF, à ouvrir une enquête préliminaire, comme il l’a récemment fait pour d’autres dossiers. (...)
que faire lorsque le chef de l’État, garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire et de la séparation des pouvoirs, est lui-même menacé par des révélations pouvant le mettre pénalement en cause ? Que faire lorsque le garde des Sceaux, nommé par ce chef de l’État – qu’il soutient par ailleurs comme candidat –, est le supérieur hiérarchique du Parquet national financier dont le procureur a été choisi par son écurie ?
Pour éviter le soupçon
En notre qualité de magistrats ayant prêté le serment solennel de servir sans réserve et fidèlement la justice rendue au nom du peuple français, au nom de cette promesse essentielle de maintenir un État de droit, dont les juges sont les gardiens, nous alertons par la présente tribune les citoyens sur la nécessité d’une véritable réforme concernant le statut du parquet et le principe d’opportunité des poursuites dans les dossiers les plus sensibles. Pour que la justice ne soit pas soupçonnée de protéger ou favoriser tel homme politique, ne faudrait-il pas instaurer un principe de légalité des poursuites, c’est-à-dire obligatoire, au nom du principe d’égalité de traitement de chacun des responsables politiques devant la loi ? (...)
Si les autorités judiciaires ont été saisies en application de l’article 40 du Code de procédure pénale selon le communiqué du Sénat, du faux témoignage du directeur de McKinsey, les faits portés à la connaissance du public par ce rapport sont susceptibles de révéler d’autres infractions pénales d’une gravité bien supérieure, et légitiment à tout le moins le déclenchement d’une enquête préliminaire.
L’ombre d’un scandale d’État
Ces faits concernent tout un système susceptible de mettre en cause les plus hautes instances de l’État : les ministres placés à la direction d’administrations centrales, ordonnateurs des deniers publics ayant engagé des dépenses au nom de l’État, et selon des procédures de marchés publics dont il appartient à la justice d’en vérifier la régularité.
Il serait anormal que le parquet ne déclenche pas une enquête et des investigations sur ce qui pourrait être un véritable scandale d’État. Nous osons espérer que cette enquête qui sera à charge et à décharge, aura lieu à court terme. (...)
Si le procureur ne peut certes pas agir en matière de fraude fiscale sans plainte préalable de l’administration fiscale, tel n’est pas le cas en matière de fraudes aux marchés publics et à la commande publique. Le délit de concussion, qui consiste pour un agent public à ne pas faire percevoir à l’État ce qui lui est dû, est également concerné. (...)
au cours de la crise sanitaire, des consultants ont pu écrire des notes administratives, non sous le sceau de leur cabinet, mais sous celui du ministère des Solidarités et de la Santé. Un tel niveau de confusion des genres ne peut qu’interroger. Et si les prestations facturées correspondent à des travaux fictifs non justifiés, il convient de s’interroger si ces paiements correspondent à un remboursement, une contrepartie (par exemple : un remboursement de dons versés pour une campagne électorale). Ces faits sont susceptibles de qualifications pénales : détournements de fonds publics, corruption passive, active, la liste n’étant pas exhaustive en la matière… (...)
au cours de la crise sanitaire, des consultants ont pu écrire des notes administratives, non sous le sceau de leur cabinet, mais sous celui du ministère des Solidarités et de la Santé. Un tel niveau de confusion des genres ne peut qu’interroger. Et si les prestations facturées correspondent à des travaux fictifs non justifiés, il convient de s’interroger si ces paiements correspondent à un remboursement, une contrepartie (par exemple : un remboursement de dons versés pour une campagne électorale). Ces faits sont susceptibles de qualifications pénales : détournements de fonds publics, corruption passive, active, la liste n’étant pas exhaustive en la matière… (...)
La justice ne saurait être complice de ces dévoiements, il en va de la survie de notre État de droit si nous ne voulons pas devenir une république bananière.
Nous magistrats, refusons de légitimer toute inertie, refusons de laisser croire aux citoyens que la justice protégerait un homme politique, et serait soumise à un garde des Sceaux en campagne électorale.
Une véritable réflexion sur la conduite des enquêtes politico-financières y compris en période électorale doit être menée, et devra faire partie des sujets incontournables au lendemain du scrutin.