
À peine installé à la tête de l’Argentine, Mauricio Macri s’est lancé dans de « grandes manœuvres » dans le secteur des médias, que nous avions détaillées dans un précédent article. Ces dernières se sont poursuivies en 2016 et ne cessent de démontrer l’ancrage néolibéral du nouveau président argentin, son inclination pour la concentration et le faible intérêt pour la démocratisation entamée sous la mandature précédente.
En effet, quand Macri et son équipe investissent la question des médias, même avec un slogan de campagne aux accents novateurs – « Cambiemos » (« Changeons ») [1] –, c’est pour revenir à une structuration du champ médiatique argentin beaucoup moins ouverte et pluraliste qu’avant la loi de 2009.
I. Chasse aux « Kirchnéristes » et autres sorcières…
Si le 30 décembre 2015, le premier ministre (Jefe de Gabinete de Ministros) Marcos Peña déclarait que « se termin[ait] la guerre de l’État contre le journalisme », le moins que l’on puisse dire, c’est que l’arrivée au pouvoir de Macri et de son équipe se traduit pourtant par l’éviction de nombreux journalistes et d’émissions réputées « proches de l’ancien pouvoir » ou susceptibles de contester le nouveau.
Suivi des affaires précédentes… (...)
À titre d’exemple, on peut citer le cas de l’agence Infojus, l’Agence nationale d’informations juridiques, dépendante du ministère de la Justice et des Droits de l’Homme, dont le démantèlement partiel a été particulièrement brutal puisque ses membres ont dénoncé, via un communiqué du 25 janvier 2016, le licenciement de 10 journalistes soit 25% de leur effectif, parmi les 500 personnes limogées au sein du ministère de la Justice.
La « pauta » : un important levier d’influence
Comme nous l’avons décrit ci-dessus, les évictions de journalistes se font pour beaucoup sur fond de pressions, voire de censure de ces voix dont l’idéologie ne correspond pas à celle du pouvoir en place. (...)
Le chercheur et spécialiste des médias Martín Becerra, dans un article intitulé savoureusement « La pauta que los parió » [11], livre une précieuse explication de la manière dont cette « pauta » agit comme moyen de pression sur les titres de presse qui en dépendent :
La publicité officielle est un problème qui traverse toutes les administrations et qui échappe à tout critère public, réglementation et contrôle. C’est un des trous noirs de la démocratie : grâce à la publicité gouvernementale, les présidents, les gouverneurs et les maires récompensent la ligne éditoriale officialiste [12] et châtient la critique. Ce système, reconnu coupable dans différents cas par la Cour suprême de justice pour son caractère discriminatoire et injuste, fonctionne comme un dispositif de « censure indirecte » car elle inhibe la critique. (...)
La reconquête – ou la recomposition de la carte – des médias argentins, brutale et fort peu démocratique, qu’a entreprise Mauricio Macri, ne laisse pas d’inquiéter. Outre les pressions, les intimidations et les risques d’éviction qui pèsent sur les journalistes, c’est – rappelons-le – l’esprit de la démocratisation des médias, entamée sous la précédente mandature qui semble être la véritable cible du nouveau chef d’État argentin. Autrement dit, lorsque Mauricio Macri et son équipe déclarent défendre la liberté de presse, ils semblent avant tout la confondre avec la liberté des entreprises de presse… (...)