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Mediapart
Médias : l’extrême danger Bolloré
Article mis en ligne le 22 octobre 2021

En plaçant des personnes de confiance à la tête du « JDD » et de « Paris Match », le milliardaire renforce son empire et l’arrime davantage à l’extrême droite, pour faire campagne en faveur d’Éric Zemmour. Le procédé fait penser à l’asservissement de la presse des années 1930.

C’est un nouveau et gravissime séisme que vit la presse française. Alors que depuis de longues années de grands titres ont été rachetés les uns après les autres par une poignée de milliardaires, entraînant une double normalisation, économique et éditoriale, l’un d’eux, Vincent Bolloré, accélère cette descente aux enfers. Plaçant des hommes de confiance à la tête du Journal du dimanche et de Paris Match, en remplacement du directeur de ces deux rédactions, Hervé Gattegno, qui a été évincé le 19 octobre, et doit quitter ces fonctions ce jeudi, l’homme d’affaires a encore agrandi son empire et va pouvoir l’arrimer plus fortement à l’extrême droite.

Il s’agit d’un fait sans précédent dans l’histoire récente de la presse : un groupe géant, englobant de très nombreux médias audiovisuels (Canal+, CNews, Europe 1…) ou écrits (Journal du dimanche, Paris Match…) est entre les mains d’un milliardaire qui affiche ses sympathies avec la droite radicale et peut les asservir à la cause exclusive de la pré-campagne présidentielle que mène l’un de ses subordonnés, Éric Zemmour, qui lui-même est devenu le nouveau porte-voix d’une extrême droite xénophobe et raciste. (...)

Ce séisme apparaît d’autant plus inquiétant que la puissance publique laisse faire. Sous François Hollande, le pouvoir montrait beaucoup d’égards pour Vincent Bolloré, alors que le danger démocratique qu’il représentait était déjà manifeste. Et sous Emmanuel Macron, la même tolérance est à l’œuvre, permettant à l’entrepreneur d’avancer progressivement ses pions.

C’est donc la crise ouverte au Journal du dimanche et à Paris Match après l’éviction d’Hervé Gattegno, le directeur des deux rédactions. Un renvoi qui permet à Vincent Bolloré de renforcer son emprise sur ces deux titres. Officiellement, c’est certes Arnaud Lagardère, patron du groupe homonyme dont ces deux titres sont des filiales, qui a annoncé ce jeudi les noms des nouveaux responsables des deux publications. Mais cela ne trompe personne : comme le groupe Vivendi, contrôlé par Vincent Bolloré, a lancé mi-septembre une OPA sur le groupe Lagardère et en est devenu le premier actionnaire, avec 27 % des parts, c’est l’homme d’affaires breton qui a désormais le pouvoir. (...)

depuis qu’il est devenu l’homme fort du groupe Vivendi, et qu’il a pris le contrôle de deux premiers médias audiovisuels, Canal+ et sa filiale ITélé, rebaptisée ultérieurement CNews, l’homme d’affaires breton a promu aux principaux postes de responsabilité des personnes en empathie avec ses propres convictions. (...)

il y a eu à la même époque, au début de septembre 2015, la promotion à la tête d’ITélé, en qualité de directeur de la rédaction, d’un jeune homme proche de Vincent Bolloré, Guillaume Zeller, petit-fils d’André Zeller (1898‑1979), l’un des quatre généraux putschistes de la guerre d’Algérie. Sur le coup, la nomination avait fait scandale. Non pas que quiconque puisse être tenu pour responsable de son ascendance, mais parce que l’intéressé évoluait lui-même de longue date dans le microcosme des catholiques ultra-conservateurs, multipliait les entretiens avec la radio d’extrême droite Radio Courtoisie, et surtout avait son rond de serviette sur Boulevard Voltaire, le site du militant xénophobe d’extrême droite Robert Ménard, devenu dans l’intervalle maire de Béziers. (...)

C’est donc ce même travail que Vincent Bolloré a ensuite, poursuivi. Organisant une véritable purge au sein d’ ITélé, avant qu’elle ne se transforme en CNews, il y a promu tous les chroniqueurs d’extrême droite ou de droite radicale possibles et imaginables, y installant des figures de Valeurs actuelles, et a bien évidemment enrôlé Éric Zemmour dans l’aventure. Au fil des mois, la chaîne est ainsi devenue la chambre d’écho permanente de tous les débats les plus rances, et s’est transformée en instrument de propagande du chroniqueur quand il a engagé sa pré-campagne présidentielle.

Puis, par la suite, c’est ce même maillage que Vincent Bolloré a poursuivi quand, montant au capital du groupe Lagardère, il a d’abord mis la main sur son premier joyau, Europe 1, et a arrimé la station à la chaîne CNews, avec des animateurs et des émissions communes, renforçant d’autant le matraquage de l’empire de presse, et son entreprise de fascisation des esprits. C’est donc ce même maillage que Vincent Bolloré poursuit aujourd’hui en plaçant des obligés, proches de ses propres idées, aux commandes du JDD et de Paris Match.

Même si le naufrage de la presse a commencé depuis bien longtemps, il y a donc quelque chose d’inédit dans l’entreprise engagée par le patron du groupe Bolloré. C’est en effet la toute première fois, en tout cas dans l’histoire récente, qu’un groupe de presse aussi puissant, est asservi pour mener la pré-campagne présidentielle d’un candidat, lequel prône de surcroît des idées xénophobes ou de guerre civile. (...)

C’est dire que l’asservissement de la presse peut prendre des formes très inquiétantes, jusqu’à saper les ressorts de la démocratie – c’était vrai avant la guerre dans un contexte de montée de l’extrême droite, cela l’est tout autant dans un contexte qui est marqué par les mêmes relents. C’est bien la raison pour laquelle le maillage organisé par Vincent Bolloré est pour le moins inquiétant, d’autant qu’il ne dispose pas que d’un unique quotidien, comme ce fut le cas pour le parfumeur Coty. C’est désormais un groupe tout entier qui peut aujourd’hui faire campagne sur des thématiques de droite radicale ; qui peut saturer l’espace public par les mêmes idées rances, poussant les autres chaînes d’info en continue à marcher sur les mêmes brisées.

Il faut d’ailleurs observer que ce n’est pas qu’un groupe de presse en constitution qui est à l’œuvre. Car l’empire Bolloré, fait désormais penser à cette fameuse « pieuvre verte », sobriquet dont était affublé Hachette pendant l’entre-deux-guerres, car le groupe avait une position dominante dans toutes les sphères de la vie éditoriale et intellectuelle depuis les débuts du Second empire. (...)

Or avec Vincent Bolloré, le cas de figure est semblable. Car, comme ma consœur Martine Orange l’a chroniqué, en lançant une OPA sur le groupe Lagardère et en devenant le premier actionnaire, le groupe Vivendi, contrôlé par Bolloré, devient lui-même une véritable pieuvre, contrôlant un empire de presse gigantesque, mais aussi Havas, l’une des plus grandes agences publicitaires au monde ; et tout le monde français de l’édition, puisque, contrôlant déjà Editis, le groupe Vivendi a par surcroît pris le contrôle de son grand rival, Hachette. (...)

Or avec Vincent Bolloré, le cas de figure est semblable. Car, comme ma consœur Martine Orange l’a chroniqué, en lançant une OPA sur le groupe Lagardère et en devenant le premier actionnaire, le groupe Vivendi, contrôlé par Bolloré, devient lui-même une véritable pieuvre, contrôlant un empire de presse gigantesque, mais aussi Havas, l’une des plus grandes agences publicitaires au monde ; et tout le monde français de l’édition, puisque, contrôlant déjà Editis, le groupe Vivendi a par surcroît pris le contrôle de son grand rival, Hachette. (...)

En somme, nous assistons à un mouvement de concentration horizontale et verticale sans précédent dans le monde des médias, de la communication et de l’édition. Un mouvement très inquiétant puisqu’il viole les principes les plus élémentaires du pluralisme, mais plus encore, dans le cas présent, car il menace d’impacter lourdement le débat public en faveur d’un candidat à la veille de l’élection présidentielle. C’est donc une très grave menace sur la démocratie que fait peser un oligopole aussi considérable que celui qui se constitue sous nos yeux. (...)

le comportement de François Hollande est venu confirmer le système de consanguinité qui fonctionne depuis si longtemps entre les sommets de l’État et les propriétaires des médias, et qui fait tellement de mal à la presse. On a d’ailleurs eu assez vite une confirmation de ce système. (...)

. Sans cette complaisance du pouvoir socialiste, CNews ne serait peut-être jamais devenue la chaîne qu’elle est maintenant, brassant à longueur de journée les thématiques les plus inégalitaires sinon abjectes.

Dans le cas d’Emmanuel Macron, on a eu récemment une ultime confirmation que loin de vouloir faire respecter les règles anti-concentration, sinon même de les durcir, le chef de l’État était au contraire favorable à ce que les règles actuelles soient le cas échéant contournées. (...)

Et pour que rien ne vienne faire dérailler ce projet, le chef de l’État a même choisi d’organiser un coup de force contre l’Autorité de la concurrence, en décidant de ne pas renouveler sa présidente, Isabelle de Silva, réputée trop indépendante, de sorte que l’idée ne lui passe pas par la tête de venir contrarier le projet présidentiel.

C’est dire que nous vivons des temps obscurs. Hier encore, on s’alarmait de la mainmise des milliardaires sur la presse, menaçant la valeur fondatrice qu’est le droit de savoir des citoyens. Aujourd’hui, c’est un danger beaucoup plus grave encore qui se profile pour la démocratie : la montée en puissance d’un gigantesque groupe de médias qui ne cache pas son envie de peser sur le débat public, sinon de le fausser, à l’avantage d’un candidat d’extrême droite.