
Le Parlement et le Sénat irlandais ont décidé en novembre 2014 la création d’une commission d’enquête sur l’implosion de la bulle immobilière en 2008. Il s’agissait d’« enquêter sur les raisons pour lesquelles l’Irlande a connu une crise bancaire systémique, notamment sur les facteurs politiques, économiques, sociaux, culturels, financiers et comportementaux, ainsi que sur les décisions qui y ont contribué ».
Dans le cadre de leurs travaux, les parlementaires ont auditionné en mars 2015 le chercheur canadien Julien Mercille sur la responsabilité des médias. Voici un extrait de son intervention.
lA a demande de la commission, nous allons accorder une attention particulière aux aspects suivants : la responsabilité des grands médias dans l’absence du moindre doute quant à la pérennité du boom immobilier ou à l’état de santé de l’économie en général ; les éventuels conflits d’intérêts engendrés par l’importance des annonceurs liés au secteur de l’immobilier ; la promotion récurrente dans les médias de l’achat d’un logement au détriment de la location ; l’opinion dominante selon laquelle le marché de l’immobilier connaîtrait un « atterrissage en douceur ». (...)
Notre travail vise à déterminer si la bulle aurait pu être repérée avant d’éclater et si l’ampleur du krach aurait pu être anticipée. Dans les deux cas, la réponse est oui, bien que l’analyse gagne en précision a posteriori (...)
Pour décrire le marché, les médias s’appuient sur de soi-disant experts financiers ou immobiliers, qui livrent une analyse presque invariablement positive. Par exemple, en novembre 2007, l’Irish Times mène l’enquête pour prédire l’évolution des tendances en 2008. Les six spécialistes interrogés, qui occupent tous des postes haut placés dans des groupes immobiliers, formulent sans surprise des prévisions d’un optimisme enthousiaste.
Certains journalistes assurent tout bonnement la promotion du secteur immobilier. Beaucoup s’ob-stinent à nier qu’une bulle se soit formée, avant comme après son implosion. (...)
Désormais, alors que l’immobilier se redresse, surtout à Dublin, le discours ne varie pas. La situation est différente, puisque le pays n’est plus confronté à une énorme bulle immobilière. Mais les médias tendent à garder la même orientation qu’avant 2008 : éditoriaux et reportages reflètent les intérêts des élites au détriment de ceux de la population.
Rien d’étonnant, puisque leur structure politico-économique (...) n’a pas changé (lire « Entre-soi »). Ils restent contrôlés par de grands groupes ou par l’Etat ; la publicité joue toujours un rôle crucial dans leur chiffre d’affaires ; et leurs journalistes prennent toujours largement leurs informations auprès de la classe politique et économique du pays.