
Nous savons que l’argent n’achète pas l’amour et qu’il ne fait pas non plus le bonheur. Mais il peut acheter l’allégeance d’une organisation non gouvernementale (ONG) et une aide humanitaire répondant aux intérêts stratégiques d’un bailleur de fonds plutôt qu’aux besoins des populations sur le terrain. Il peut aussi vous placer dans la ligne de mire de l’ennemi de votre donateur.
Nous savons que l’argent peut acheter tout cela, car nous savons que c’est déjà le cas. Ce sont d’ailleurs les conséquences de cet achat — la réponse des organisations humanitaires internationales souvent tardive, partisane et soumise à la politique de l’offre — qui motivent le redéploiement des ressources vers les intervenants humanitaires locaux (ce qu’on appelle la « localisation »). Mais si les ONG locales reçoivent plus de fonds, les mauvaises habitudes en matière de financement de l’aide ne risquent-elles pas de se reproduire sous une nouvelle forme ? (...)
Les responsables de l’élaboration des politiques humanitaires sont depuis longtemps clairs sur ce point : un financement rapide, flexible et sur plusieurs années est nécessaire (le Good Humanitarian Donorship, un premier ensemble de réformes adopté en 2003, s’est soldé par un échec). Comme l’a conclu une étude de l’OCDE, « de puissants freins institutionnels empêchent de “faire les choses différemment” », en l’absence de « leadership politique et d’un soutien explicite et prévisible des plus hautes instances institutionnelles. » (...)
Le problème, c’est la polarisation actuelle du plan de localisation sur les voies de financement et la nature faustienne de cette « Grande Négociation ».
Un modèle de financement qui a déjà miné l’indépendance et l’efficacité des ONG internationales n’est pas ce qu’il a de mieux pour donner aux organisations locales les moyens d’agir dans leur propre pays et communauté. (...)
Outre la question des risques, les débats concernant la localisation devraient faire preuve de plus d’ambition. Ne pourrions-nous pas imaginer que les ONG locales puissent choisir un modèle différent, se basant par exemple sur la détermination de Médecins Sans Frontières à faire appel à des bailleurs de fonds privés plutôt que gouvernementaux ? Quand verrons-nous une organisation appelée Collecte de Fonds Sans Frontières, qui soutiendrait la croissance d’un secteur d’ONG indépendantes dans le Sud ?
Même si l’on reconnaît que les organisations locales ont systématiquement été marginalisées, on peut espérer que leur critique radicale s’étendra aux questions de financement. Se fonder sur l’idée que les bénéfices du pouvoir de l’argent dépassent les conséquences néfastes de l’argument selon lequel la fin justifierait les moyens est une dangereuse tactique.
Voici ce que nous devons éviter : transformer les ONG et les associations locales du Sud en auxiliaires du Nord, en exécutants du « soft power », en assesseurs des intérêts (sécuritaires) nationaux des puissances occidentales, en partenaires de ce secteur privé mondial qui est à l’origine du sous-développement et des inégalités et en instruments des programmes libéraux et néo-libéraux. (...)