
En plus d’aggraver la sécheresse, les gigantesques retenues d’eau irriguant les cultures de l’agro-industrie « sont accélératrices du gigantisme et donc de la concentration des richesses », selon Julien Le Guet, du collectif Bassines non merci.
(...) Julien Le Guet — Les promoteurs de ces projets répètent sans relâche : « En hiver, l’eau est abondante alors ne la laissons pas regagner la mer, prenons la et stockons la jusqu’à la saison sèche. » Pourquoi pas ? On peut entendre cet argument. Sauf qu’en réalité, l’eau dont ils veulent s’emparer n’est pas celle de la rivière ni celle d’une crue. Non, pour remplir ces immenses cratères artificiels, des pompes vont chercher l’eau à plusieurs kilomètres de profondeur dans la nappe phréatique.
Cette eau du sous-sol est une réserve qui appartient à tout le monde. Protégée de la chaleur et déjà partiellement filtrée par le calcaire et le couvert végétal de surface, elle est moins polluée que l’eau des rivières qui subit de plein fouet les nitrates, les pesticides, etc. Nous devrions la sacraliser ! Elle est censée nous alimenter en eau potable, mais aussi alimenter rivières et marais pendant l’été. Au lieu de cela, elle est captée, privatisée et accaparée au profit de quelques grosses fermes ayant recours à l’irrigation massive. Des fermes qui font de l’agro-industrie, et non pas des petits légumes allant nourrir les marchés voisins.
Depuis le début de l’année, l’Hexagone enregistre un déficit pluviométrique de 35 %. Dans de telles circonstances, les mégabassines cessent-elles de pomper l’eau ?
Non. L’hiver est la saison précieuse au cours de laquelle les nappes phréatiques se rechargent. Seulement, au lieu de les laisser tranquilles, on les lessive pour remplir les mégabassines. Et ce, quel que soit l’évolution pendant l’hiver ! (...)
Partout dans le département, il était pourtant avéré que les nappes phréatiques étaient raplapla en raison de la rareté des pluies. À côté de la bassine, le piézomètre, c’est-à-dire un trou dans le sol qui permet d’observer le niveau de la nappe, avait atteint un niveau jamais vu depuis vingt ans. Malgré tout ça, la préfecture et l’État ont autorisé le remplissage. C’est une véritable arnaque. Résultat : trois mois plus tard, le 15 mars, les seuils étaient tellement bas qu’ils ont dû arrêter de pomper. (...)
Ces bassines sont la source de grandes inégalités. Dès cette semaine, les agriculteurs connectés dessus et ayant payé peuvent utiliser l’eau, même s’il y a un arrêté préfectoral interdisant toute irrigation. Par contre, ceux situés trop loin des bassines et donc non raccordés au réseau ne peuvent pas arroser leurs champs car les nappes phréatiques auront été prématurément pompées… par les mégabassines. Or ceux qui profitent de celles-ci ont très souvent de grandes exploitations, et les autres de toutes petites fermes de maraîchers. L’irrigation est un accélérateur du gigantisme, et donc de la concentration des richesses et du foncier.
N’oublions pas les conséquences sur la biodiversité. (...)
Les irrigants sont nos adversaires. L’État, notre ennemi. Aujourd’hui, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie, et les dirigeants nationaux de la FNSEA poussent à la roue très très fort. Ils ne cachent plus leur objectif : les premières bassines implantées ne sont qu’un coup d’essai avant une généralisation du dispositif. (...)
Le gouvernement souhaite élargir les pouvoirs des préfets de manière à accélérer les procédures et pouvoir s’affranchir de tout un tas de cadres légaux en termes d’études d’impact et de consultation publique. Grosso modo, ils veulent purger la lourdeur de la machine démocratique pour faire pousser des bassines en moins d’un an, là où ça en prend trois aujourd’hui (...)
Ces ouvrages coûteux sont pris en charge à plus de 70 % par l’argent public, à savoir l’Agence de l’eau, la Région, l’État et l’Europe. Heureusement, le vent commence à tourner. Avec la Confédération paysanne, notre collectif a alerté la Commission européenne. Nous avons été auditionnés par quarante eurodéputés l’an dernier et leur avons dit que chez nous, six directives européennes étaient potentiellement bafouées. Notre signal a été pris très au sérieux puisqu’il a fait l’objet d’une lettre de la Commission à l’État français pour qu’il fournisse tous les éléments. Le bras de fer est donc enclenché, bien qu’à côté de ça, des fonds européens ont déjà dû être dépensés pour construire ces bassines. (...)
Les pouvoirs publics, en participant à ce financement, démultiplient les impacts des sécheresses contre lesquelles ils vont eux-mêmes devoir lutter. De la même manière, ils soutiennent des projets qui vont de pair avec l’agrochimie et qui, en bout de chaîne, donnent des coûts faramineux pour rendre à nouveau potable la flotte qui sort du robinet. On est offusqué par cette politique de l’État. On est scandalisés du peu de mobilisation des élus locaux. On est vraiment aux premières loges pour assister aux grandes connivences qui existent entre la FNSEA [Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles] et les échelles de pouvoirs, du local à l’européen. (...)