Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
La vie des idées
Mémoires transnationales de l’esclavage
Ana Lucia Araujo, Slavery in the Age of Memory : Engaging the Past, Londres, Bloomsbury Academic, 2020, 272 p., 29,95 $.
Article mis en ligne le 23 janvier 2021
dernière modification le 22 janvier 2021

En adoptant une approche transnationale, des États-Unis à la France, en passant par l’Angleterre, le Bénin et le Brésil, Ana Lucia Araujo revisite la mémoire de l’esclavage en étudiant ses modalités et leur évolution dans la longue durée.

Le meurtre de George Floyd en mai 2020 par un policier de Minneapolis a provoqué, de part et d’autre de l’Atlantique, une vague de mobilisation sans précédent contre les violences policières et plus largement contre la persistance des inégalités raciales. On se souvient des formes spectaculaires prises par la contestation, aux États-Unis notamment, où de très nombreuses statues érigées à la gloire d’hommes ayant défendu l’esclavage et la suprématie blanche furent prises pour cibles – maculées de peinture rouge vif ou recouvertes de slogans politiques – avant d’être, dans la plupart des cas, déboulonnées par les autorités locales. Tandis qu’une grue faisait s’envoler dans le ciel de Richmond, capitale de la Virginie, la statue du général confédéré Stonewall Jackson, celle du marchand d’esclaves Edward Colston sombrait dans les eaux du port de Bristol, en Angleterre, où elle avait été précipitée par des manifestants. Sur ces symboles hérités du passé vinrent se cristalliser les colères du présent. Certains crièrent à un effacement de l’histoire, entretenant plus ou moins délibérément la « confusion entre les concepts de mémoire, d’histoire et de commémoration » (p. 2) ; car c’est bien de logiques mémorielles dont il est question. On n’a jamais fait autant d’histoire, en vérité, qu’en débattant de l’opportunité de conserver des statues à l’effigie de telle ou telle personnalité – Colomb, Colston, Colbert – et en s’interrogeant sur les continuités entre lois coloniales, pratiques esclavagistes et ordre racial contemporain

.

Le livre d’Ana Lucia Araujo, s’il a été écrit trop tôt pour intégrer la séquence du printemps 2020, replace les débats actuels sur la mémoire de l’esclavage dans la longue durée, montrant que ceux-ci ont leur propre histoire (...)

Batailles mémorielles

La mémoire de l’esclavage, écrit Araujo, est un « champ de bataille permanent » (p. 69). L’historienne consacre un chapitre à quelques-unes de ces « batailles » mémorielles qui ont vu la remise en cause, en Angleterre et aux États-Unis, de marqueurs urbains – statues, noms de rue, bâtiments – associés à l’histoire coloniale, à la traite transatlantique et à l’esclavage.

Dans l’ombre des Pères fondateurs

Les anciennes plantations du Sud des États-Unis, qui attirent chaque année des dizaines de milliers de visiteurs du monde entier, témoignent également de la difficulté à se confronter véritablement à l’esclavage dans des lieux qui n’existeraient pourtant pas si des êtres humains n’y avaient pas été exploités et violentés pendant des décennies. Assurément, on est loin aujourd’hui de la vision qui prévalait il y a un siècle, à l’apogée du mythe de la Cause perdue, lorsque la réalité sordide de l’esclavage se trouvait au mieux euphémisée, au pire effacée. (...)