
Alors que Libération subit actuellement une crise si grave qu’elle menace son existence, celle que traverse une nouvelle fois Le Monde, plus larvée, n’en est pas moins menaçante pour son avenir. Au moment même où l’éditocratie salue peu ou prou le prétendu « réalisme » de François Hollande et du gouvernement, il est à la fois cocasse et symptomatique de l’état général déplorable de la presse française, de constater que les deux quotidiens qui accompagnent avec plus ou moins de distance cette orientation politique connaissent de telles difficultés. Pourtant, quelle que soit l’estime dans laquelle on peut tenir ces deux publications, il y a tout lieu de s’en inquiéter…
(...) Alors pourquoi ceux qui ne partagent pas les options politiques de Libération et du Monde devraient-ils s’inquiéter de l’éventualité que lecteurs soient privés des contorsions péri-gouvernementales du premier et du libéralisme vaguement social du second ? Pour quatre bonnes raisons au moins :
– Parce que les options éditoriales d’un titre ne coïncident pas totalement avec ses options politiques et que comme le souligne Chomsky, l’information que diffusent les médias n’est pas réductible à la propagande ;
– Parce que le pluralisme forme un tout et que, aussi peu qu’il soit respecté dans les colonnes de ces journaux, il est peu probable qu’il sorte renforcé si, hormis L’Humanité et La Croix, seules demeurent comme grands quotidiens généralistes nationaux Aujourd’hui en France (Le Parisien) et Le Figaro ;
– Parce que les autres médias, en particulier sur Internet, ne peuvent pas être de purs et simples substituts à la presse écrite imprimée ;
– Parce que les usagers des médias ne sont pas (ou ne devraient pas être) seulement des consommateurs, décidant selon leurs goûts et opinions, aussi légitimes soient-ils.
Quelles que soient leurs préférences, qu’ils adorent ou détestent Le Monde et Libération, qu’ils se méfient des médias traditionnels ou seulement de certains d’entre eux, qu’ils privilégient ou non les sites en ligne et les médias associatifs, ces usagers sont tous concernés : ce n’est pas – ou pas toujours – par soustraction de titres que se gagne le combat pour une appropriation démocratique des médias