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Meta : quand Zuckerberg nous programme un « autre » monde
/Dominique G Boullier Professeur des universités en sociologie Sciences Po Paris
Article mis en ligne le 19 novembre 2021
dernière modification le 18 novembre 2021

L’oracle Zuckerberg nous prédit notre avenir en nous fabriquant un futur fait de metaverse. Effets d’annonce pour investisseurs, certes mais aussi nouveau réseau qui se combinera à la 5G et aux objets connectés pour ne rien changer à son/notre modèle économique.

L’oracle (fondateur) a parlé du haut de sa montagne de sucre et désormais, il nous faut tenter d’interpréter son message, toujours ambigu comme toujours avec les oracles. Mais il annonce, il refonde, il renomme et nous qui sommes déjà ses sujets, devons décrypter l’avenir qui sera le nôtre. Un commentaire, que dis-je, une exégèse sont nécessaires et pour cela, il faut aussi avoir visionné la vidéo de 1h17 qui raconte et met en scène ce texte, extrait lui-même de la vidéo.

Le texte de Mark Zuckerberg (in extenso, ce qui vous évitera d’aller le chercher et traduit en français par DeepL à la perfection, il faut le dire !) sera en italiques.

(...)

Remarquons quand même le silence quasi-total sur le coût énergétique d’un tel projet. La seule mention (voir plus haut) que MZ consent à propos des enjeux climatiques est le principe de la substitution : avec un métaverse, nous aurons moins besoin de nous déplacer et nous réduirons ainsi nos émissions de CO2. C’est à la fois le service minimum mais surtout faux car l’empreinte écologique de tout le système n’est jamais évoquée, l’effet rebond dans les usages est ignoré, comme l’est le fait que plus de connexions engendre en réalité une tendance plus forte aux déplacements physiques, la thèse de la substitution ne se vérifiant pas à l’échelle globale. (...)

Ce qui est en question est bien plus qu’un univers persistant de plus, ou un ensemble de jeux vidéo. Il s’agit bien pour MZ de prétendre devenir le système d’exploitation du futur de l’internet mobile. Ce point me parait essentiel mais n’est absolument pas clairement explicité par MZ, en dehors de cette remarque en passant sur les contraintes des plateformes existantes (de leurs politiques et plus précisément des taxes qu’Appstore et PlayStore prélèvent sur les applications qui les utilisent). Le plaidoyer sur l’interopérabilité doit être pris au sérieux ainsi que l’appel à la participation de tous les créateurs.

Cependant, il faut bien noter que pour repenser cet internet mobile, MZ n’a pas jugé utile de mettre sur pied un consortium ad hoc : il considère que Facebook possède la vision et les ressources et peut prétendre à lancer un tel projet seul. Cela indique bien à quel point nous sommes désormais sous la botte de ces plateformes, qui daignent nous annoncer notre avenir, et nous demander de contribuer mais sans jamais participer au design stratégique du système. Et cela vaut pour les entreprises, les créateurs et les régulateurs évidemment tout autant que pour les utilisateurs de base.

J’ai indiqué que MZ ne dit rien sur les capacités du réseau pour soutenir un tel métaverse, alors que la question est critique car on sait que le réseau actuel de l’internet mobile ne peut pas supporter une telle demande de bande passante. En revanche, les projets d’extension généralisée des hologrammes fait partie du cahier des charges déjà établi de la 6G, annoncée pour 2030. Or, ce sont les opérateurs de télécoms qui sont à la manœuvre sur le sujet (ou les équipementiers). (...)

Cependant, si Facebook prétend s’instituer comme LE système d’exploitation de ce monde, c’est qu’il ne veut plus dépendre de iOS ni d’Android et qu’il veut se focaliser sur le mobile avec une ambition supérieure encore. Même s’il sortait gagnant dans cette compétition entre plateformes et leurs OS, Facebook n’a aucune intention de se retrouver dépendant des opérateurs de télécommunications et c’est pourquoi la valeur ajoutée de ces services devra être captée par son métaverse.

Les projets que Facebook avait initiés dans le domaine des satellites faisaient partie de ce plan plus général pour se substituer à la fois aux plateformes et aux opérateurs. Or, ce marché est en cours de captation par Elon Musk et son projet Starlink qui lance 60 satellites tous les 15 jours en orbite basse et vise les 42000 satellites pour 2025. Les projets de Facebook semblent être désormais en stand-by. Pourtant, pour que le métaverse fonctionne, il faudra assurer une qualité de service aussi persistante que l’univers et il est quand même très étonnant que MZ n’en dise rien. (...)

Mais alors, c’est bien notre avenir que vient de décréter Mark Zuckerberg ? La probabilité est élevée, tant que les gouvernements ne démantèlent pas la compagnie, que les autres parties prenantes concurrentes ne prennent pas le mors aux dents pour lui faire la peau, et surtout que les revers de réputation ne font pas fuir les investisseurs. Ce qui veut dire qu’il n’existe aucun espace où discuter de tout cela ? Non pas pour orienter une compagnie privée quelconque, mais pour contrôler la mise en place de l’infrastructure de nos interactions futures et de notre espace public. Ce serait le minimum, non ?

Des équivalents de nos autoroutes ou de nos voies de chemins de fer qui irriguent, stimulent, orientent, nos pensées et nos émotions, à l’échelle de plusieurs milliards d’individus, cela mérite quand même débat public, principes de régulation, organisation d’une gouvernance, etc…Oui Zuckerberg veut devenir « le métaverse dont le prince est un enfant », mais ça n’est pas ainsi que se construise et se répare les institutions contemporaines, déjà largement sabotées par les plateformes. (...)

Certes, cher Mark, le futur est bien « au-delà » de ce que tu imagines, car ton imagination est au fond bien pauvre et surtout sans aucune attention à la vie collective malgré ce que tu dis (tu ne fais qu’exciter les relations), à la sécurité et à la qualité des enveloppes contrairement à ce que tu dis (tu contrôles toutes nos traces à ton profit et ton modèle économique t’empêche de faire autrement) et au désir de coopération (qui n’est pas monétisable à tous coups).

Nous voudrions « habiter le numérique », en faire une « habitèle », tu proposes de nous y capter encore un peu plus longtemps et à tout propos pour une créativité de pacotille, des émotions fake et des expériences répétitives. Tu me diras que c’est déjà ce que nous faisons offline ? OK, j’avoue, tu marques un point.