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Michel-Edouard Leclerc est-il un gentil patron ?
#grandedistribution #leclerc #DroitSocial #Agriculture #Agroalimentaire
Article mis en ligne le 3 octobre 2022

Michel-Edouard Leclerc, PDG du groupe Leclerc, est un patron dont l’aura médiatique et politique se porte particulièrement bien en ce temps d’inflation généralisée. C’est à lui que BFM va poser ses questions sur la hausse des prix, mais aussi Brut, où le PDG répond directement aux consommateurs inquiets. Politiquement, Leclerc fait consensus. Longtemps proche des hommes de droite comme Nicolas Sarkozy, il posait ce mois-ci au coté du député LFI Alexis Corbière dans le cadre d’une commission d’enquête sur la hausse des prix. Michel-Édouard, comme son père Édouard, cultive l’image d’un homme du côté du peuple contre la vie chère. Au point qu’en 2005, son entreprise est allée jusqu’à détourner des affiches de Mai 68 pour vanter ses « combats » pour des prix bas. Le magazine Forbes est allé jusqu’à décerner à Michel-Édouard Leclerc le titre de “patron préféré des Français” en 2021.

(...) Derrière cette belle image de l’entreprise leader de la grande distribution en France se cache pourtant un groupe prédateur, qui a transformé durablement le tissu économique français et changé le visage de ses villes. Derrière son amour inconditionnel des consommateurs, qui est Michel-Édouard Leclerc ? (...)

« L’aventure » Leclerc ou l’art de s’imposer par la force :

Édouard Leclerc est un commerçant catholique breton qui, après s’être destiné à la prêtrise, s’est lancé en 1949 dans la vente discount avant l’heure, en court-circuitant ses fournisseurs et en baissant les prix dans une période inflationniste. L’histoire officielle comporte son lot de petites exagérations qui donne un vernis romantique à son parcours.

Édouard Leclerc s’est rendu populaire en permettant une baisse des prix par les importants volumes achetés. D’autres lui ont emboîté le pas : le quincailler Marcel Fournier, qui lance avec ses associés ce qui deviendra le groupe Carrefour, puis l’héritier des industries textiles Phildar, Gérard Mulliez, qui crée le premier supermarché Auchan. Ces trois personnages lancent un modèle qui va durablement transformer le monde du commerce en France, et modifier le visage de nos villes et de nos villages. Une décennie après la création du premier magasin de Leclerc, les fournisseurs de la grande distribution déchantent (...)

La France devient progressivement la championne de la grande distribution, bien plus que ses voisins. Cela s’est fait avec la bienveillance des élus locaux et nationaux, et grâce à un activisme juridique des groupes pour obtenir gain de cause. Le groupe Leclerc ne s’en cache d’ailleurs pas. Sur son site internet dédié à l’histoire de l’enseigne, une rubrique se nomme “LES COMBATS CONTRE LA LÉGISLATION”. Elle contient des vidéos pédagogiques pour “découvrir en image les combats de l’enseigne pour modifier la législation réglementant la distribution”. Le secteur de la grande distribution s’est imposé de force en France, mais l’histoire de ses fondateurs reste décrite comme une grande “réussite”, une véritable innovation économique qui a changé nos vies. Les Leclerc père et fils ont été les fers de lance de cette évolution à marche forcée. (...)

Michel-Édouard Leclerc n’hésitait pas à se retrousser les manches pour permettre à ses adhérents (les patrons des centres Leclerc) de contourner la loi, pour mieux la forcer à évoluer : en 1973, la loi Royer encadre les ouvertures de magasins de grande surface, ce qui déplaît à Leclerc. L’année suivante, alors que l’un de ses adhérents, le patron du centre Leclerc de Rochefort en Charente-Maritime, fait face à la justice qui s’oppose à l’extension de son magasin, Leclerc lui-même descend, bien entouré, et provoque des heurts entre ses partisans d’un côté et les représentants des petits commerçants de la ville, de l’autre. La scène est racontée par Frédéric Carluer-Lossouarn, auteur d’une enquête journalistique sur le groupe (“Leclerc : enquête sur un système, 2008”). A force d’activisme, la loi Royer est fortement amendée en 1993. Le fils, Michel-Édouard, n’est pas en reste quand il s’agit de faire changer la loi. Il cultive son amitié avec Nicolas Sarkozy et obtient de sa part, en 2007, la fin de la loi Galland, qui protégeait les fournisseurs contre les pratiques de la grande distribution. Comme Uber a fait changer la loi de force, par la confrontation physique (en imposant ses VTC contre les taxis) et l’influence politique, en entretenant des liens de corruption avec Macron, Leclerc a fait évoluer les règles pour permettre à la grande distribution de régner. Derrière la belle histoire médiatique, les faits moins ragoûtants ont été progressivement gommés. (...)

Mais du point de vue de la bourgeoisie, c’est une réussite. Des commerçants fortunés sont devenus des milliardaires, côté Carrefour et Leclerc, tandis qu’un héritier de l’industrie du textile a réussi à devenir champion de la grande distribution et fondé une dynastie où l’on se partage le gâteau : les Mulliez, de l’enseigne Auchan mais aussi Norauto, Cultura, Décathlon, Kiabi, Jules…. (...)

Condition salariale minimale : la “valeur travail” selon les Leclerc

Tout comme l’ubérisation du travail en France dans la dernière décennie, l’installation du modèle de la grande distribution a constitué aussi une “innovation” sur le plan de l’organisation du travail. La main-d’œuvre commerçante a changé de modèle, en passant de la boutique à la grande surface. L’acte de vente a été “rationalisé”, c’est-à-dire que l’ensemble des tâches ont été découpées et distribuées à un personnel discipliné et dévalorisé.

Le père Leclerc aimait les consommateurs, mais pas les syndicalistes. (...)

Condamné par la justice l’année suivante pour cette agression, Édouard Leclerc déclare à l’AFP : “Je n’accepterai jamais que les marxistes qui ont détruit les deux tiers de l’Europe puisse rendre justice dans ce pays qui est la France. En ce qui me concerne, je préfère mille fois Le Pen que le marxisme et son expression économique : le communisme”. Au moins les choses sont claires, et pas si surprenantes pour un patron qui fut incarcéré à la Libération, soupçonné de collaboration avec l’occupant nazi (sans que la vérité, à ce jour, n’ait pu être clairement établie). (...)

Le fils apprend tôt la haine anti-syndicale : en 1989, il est envoyé au front pour faire face à une manifestation syndicale suite à l’ouverture, un 11 novembre, du Leclerc de Brest. Sont envoyés des salariés de différentes centrales d’achats, des patrons adhérents, et le fils, qui, face à la volonté des syndicalistes de négocier dans ce face à face, répond par un bras d’honneur, apprend-on dans l’enquête. La classe.

Depuis, les choses ne se sont guère arrangées pour les salariés des centres Leclerc. En 2012, le journal l’Humanité racontait les multiples pressions, chantage ou tentative de corruption vécues par les salariés qui tentaient de se syndiquer à Chalon-sur-Saône. En mai 2022, une enquête lancée par le syndicat CFDT dans le département du Finistère, et portant sur plus d’une soixantaine de centres Leclerc, donne des résultats qui en disent long sur leurs conditions de travail : 66 % des salariés s’estiment épuisés physiquement et 60 % épuisés moralement. 77 % déclarent que la charge de travail a augmenté depuis leur entrée dans l’entreprise, et 64 % travaillent plus d’heures que prévues.

Emploi dégradé certes, mais emploi quand même ! A l’heure où la morale sur la “valeur travail” a repris des couleurs, y compris à gauche, ne devrait-on pas se réjouir de l’épanouissement, ces dernières décennies, de la grande distribution partout dans le pays ?

Eh bien pas du tout. Car la grande distribution ne crée pas d’emploi. Pas du tout. Au contraire. On estime que pour un emploi créé dans la grande distribution, trois sont détruits dans le commerce traditionnel. (...)

Les dégâts sanitaires et sociaux de l’arrivée de la grande distribution dans nos vies (...)

L’écrasement des prix pratiqué par les centrales d’achat de Leclerc ou Carrefour est en grande partie responsable de l’appauvrissement et de la réduction du nombre d’agriculteurs dans le pays. Quatre centrales d’achat détiennent 90% du marché, nous explique Reporterre. Par conséquent, le rapport de force entre agriculteurs et grande distribution est complètement déséquilibré, et oblige les premiers à recourir à des intermédiaires comme les grandes coopératives. La destruction de l’agriculture paysanne, à circuit court, a été largement provoquée par le développement de la grande distribution. (...)

Désormais, la grande distribution, Leclerc au premier rang, participe de l’inaccessibilité financière des produits issus de l’agriculture biologique pour une bonne partie des Français. En effet, les supermarchés font leur marge sur le bio, de façon complètement indécente et décomplexée. (...)