
Pendant la guerre d’indépendance algérienne, l’armée française a truffé le pays de millions de mines. Puis elle a attendu 45 ans avant de partager ses cartes des zones piégées. Depuis 1962, les victimes se comptent par milliers. Et ce n’est sans doute pas terminé.
Quel bruit ça fait, une mine, quand ça explose ? Kada Reyreyene ne s’en souvient pas. Mais il se rappelle très bien que pendant vingt ans, il a eu deux jambes. Jusqu’à ce jour maudit de 1962, quelques mois après l’indépendance. C’était sur une route, près de la frontière marocaine. Kada, jeune paysan, marchait tout simplement ; ce fut la déflagration. « Je me suis évanoui. Ce n’est que le lendemain que je me suis réveillé, en me découvrant avec une jambe en moins. Et ligoté, pour que je ne bouge pas. » Ensuite, Kada a passé trois mois à l’hôpital de Tlemcen, où il a été soigné par un médecin français.
Le soldat qui avait posé la mine, c’était aussi un Français. Pendant la guerre d’indépendance, l’armée coloniale a disséminé près de onze millions de ces engins de mort. Un peu partout en Algérie, mais essentiellement le long des frontières du pays. (...)
sur des centaines de kilomètres, de la mer au désert, on établira d’impressionnants barrages [ lire encadré ci-dessous ]. Barbelés, haies électriques à 5 000 volts, projecteurs, patrouilles de jour comme de nuit, artillerie, hélicoptères de combat… Sans oublier les champs de mines, qui hanteront longtemps les indépendantistes essayant de les franchir : « Il y avait cette fatalité qui pouvait attribuer votre mort à votre propre action. C’était votre pied qui déclenchait le désastre et non quelques ennemis tapis dans le noir », écrira le guérillero Amar Boudjellal, décrivant les mines comme « un poison » qui pouvait « devenir une idée fixe ».
Militairement parlant, les barrages sont un succès pour les Français. Les franchissements diminuent. De nombreux combattants algériens sont bloqués à l’extérieur du pays ; ceux de l’intérieur, mal ravitaillés, sont exsangues. Mais les guerres ne se gagnent pas que sur le champ de bataille. Elles se perdent aussi sur les plans politique et diplomatique. En juillet 1962, l’Algérie est indépendante.
Des décennies de déminage (...)
De 1963 à 1988, près de 8 millions de mines sont retirées. Pendant la décennie noire [1], ces opérations s’arrêtent. Pire : l’armée algérienne et les groupes islamistes armés posent de nouveaux explosifs. Le déminage ne reprend qu’en 2004 ; son achèvement officiel est finalement annoncé en janvier dernier. Au total, près de neuf millions de mines ont été mises hors d’état de nuire.
Les choses seraient sans doute allées plus vite si la France avait remis à l’Algérie l’intégralité des plans des zones piégées dès 1962… Mais pour faire ce geste, l’état major hexagonal a attendu… 2007. Quarante-cinq ans après l’indépendance, il était trop tard pour que cela serve vraiment à quelque chose. Car avec le temps, les mines bougent. L’érosion, le ruissellement des eaux les déplacent. (...)
Depuis 1962, plus de 7 000 victimes de mines ont été officiellement répertoriées en Algérie. Selon le dernier rapport de l’ICBL, un collectif international d’ONG pour l’interdiction des mines antipersonnel, 3 315 personnes ont perdu la vie, 3 775 ont été mutilées. (...)
Certes, avec le temps et l’avancée du déminage, les accidents se sont faits de moins en moins nombreux. Officiellement, le nettoyage des frontières algériennes est terminé. Mais moult mines françaises sont toujours enfouies dans le sous-sol de plusieurs régions du pays, prêtes à mutiler. On en retrouve encore de temps en temps…
Le dernier accident mortel imputable à une mine de la période coloniale remonte à 2011 (...)